dimanche 30 décembre 2018

La résurrection du dragon
(Roman) Urban Fantasy
AUTEUR : Romain d'HUISSIER (France)
EDITEUR : GALLIMARD-Folio SF 618, 10/2018 — 394 p., 8.30 €
SERIE: Chroniques de l'Etrange 2
COUVERTURE : Alain Brion
Précédente publication : Editions Critic-Fantasy, 11/2016 — 23 € — Couverture de Xavier Collette
→ Son combat contre la secte Hmong (voir Les 81 frères du dragon, premier épisode de cette trilogie) avait laissé à Johnny Kwan, détective et exorciste patenté dans un Hong Kong où Rois dragons et entités surnaturelles cohabitent avec le nec-plus-ultra de l'hyper technologie, comme un arrière-goût d'inachevé dans la bouche. D'autant plus que dans sa lutte contre Ci Jau, ce démon ancestral que voulaient ressusciter les Hmong, il avait eu à déplorer la perte d'Andy Kwok, le jeune devin qui l'avait épaulé dans cette affaire tué par le maitre-assassin de la secte qui avait réussi à s'échapper et avec lequel Johnny avait un vieux compte à régler. Désormais, son cœur animé par la vengeance, il se lance sur les traces de ce tueur énigmatique que son ami Daniel Slung, l'inspecteur-chef de la police hongkongaise, connaît sous le nom de M. Hung, un transfuge des services de renseignements de la Corée du Nord. Cependant tandis que, pour faire honneur à son statut de détective de crise, il mène à bien quelques enquêtes de routine où il n'a pas à forcer outre mesure son talent, les meurtres rituels de courtisanes femmes-serpents ainsi que le vol d'une œuf de jade dérobé à la Triade alors qu'il en assumait la garde, plonge de nouveau Johnny dans une affaire qui dépasse ses investigations habituelles et qui risquer d'entraîner la destruction du monde. De nouvelles péripéties vont le conduire avec son compagnon le magicien Mike Lyu, puis avec Ann, la fougueuse nonne combattante, dans l'antre de la Dame Araignée, la Grande Tisseuse que même les rois-dragons redoutent et qui déplorait la mort de Wang-Lou sa fille aînée partie s'amuser à la surface lors d'une banale fête humaine. Un décès qui entre dans le nouveau canevas ou prend place Anthony Chau, le milliardaire pour lequel Johnny a déjà travaillé, se révélant sous un nouveau jour, celui de maître de la secte du Tin Haa œuvrant pour retour sur Terre du Premier Empereur, un être bien plus redoutable que tous les démons réunis contre lequel les Hmong tentaient de lutter, contrairement à ce que l'impétueux exorciste avait pu croire. Et tandis que, peu à peu, il prend conscience qu'il n'a été qu'un pion habilement manipulé depuis le début de cette histoire et que désormais les monstrueux Quatre Venins sont en position de répandre sur la Chine leur moisson d'épidémies, il voit impuissant les rangs de ses amis fondrent à vue d'œil autour de lui, et ne peut plus compter qu'avec le retour de James Woo, le maître taoïste vivant depuis longtemps en ermite dont il tenait tout son savoir magique. Un second tome qui articule habilement ses pages avec l'intrigue du premier opus révélant des pans de l'histoire sous un angle inattendu, le tout porté par la dynamique de la triade formé par Johnny, Mike le magicien et Ann la moine combattante, affrontant toutes sortes de créatures à peine imaginables dans une débauche d'action qui ne néglige par pour autant la partie émotionnelle des personnages. De quoi attendre avec impatience la reprise par Folio SF du troisième volet de la trilogie des Chroniques de l'étrange, Les gardiens célestes.
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Superposition
(Roman) Science Fantasy
AUTEUR : David WALTON (uSA)
EDITEUR : GALLIMARD-Folio SF 610, 10/2018 — 394 p., 8.30 €
TO : Superposition, 2015
TRADUCTION : Eric Holstein
COUVERTURE : Ugo Bienvenu
Précédente publication : Editions ActuSF-Perles d'Epice, 9/2016 — 408 p., 20 € — Couverture de James Van Zyl
Cette histoirecommence comme un bon vieux thriller avec l'incursion dans la vie et la maison de Jacob Kelley, ancien chercheur au SCNJ, siège du super collisionneur du New Jersey, de son vieil ami de fac, Brian Vanderhall. Puis, tout dérape quand ce dernier braque un révolver sur Elena, la femme de Jacob, et la tue, seule manière en ce qui le concerne de prouver la dangerosité de la découverte qu'il vient de faire et qui met en danger l'équilibre du monde. Dés lors, le roman bascule dans la physique quantique et sa fameuse théorie du chat de Schrödinger, un univers qui se comporte de manière radicalement différente de l'univers macroscopique qui gère nos habitudes et où les probabilités viennent joyeusement s'entrechoquer. Ainsi l'intrigue du roman va s'articuler autour de deux bases qui se superposent habilement grâce au talent de l'auteur. Dans ces trames narratives on découvre un Jacob arrêté pour le meurtre de Vanderhall et exposé dans un procès très médiatique où il peut compter sur l'aide opportune d'un certain... Jacob Kelley, un alter ego qui lui a échappé aux flics. Bien entendu, dans l'enchevêtrement des probabilités qui s'offre à lui, Jacob va choisir celle où les siens, sa femme Elena et sa fille Alessandra, ne sont pas irrémédiablement perdues. Mais, pour cela, il lui faudra échapper au varcolac, une entité probabiliste à l'origine de divergences durant lesquelles plusieurs états possibles peuvent coexister. Voilà de quoi nous entraîner dans une dolle course-poursuite digne du A bout de souffle de Alfred Hitchcock où les points de vue alternent sans cesse, tandis que Jacob mène sa propre enquête. Un livre porté par le dynamisme de son personnage central, Jacob Kelley, brillant scientifique viscéralement attaché à la survie de sa famille, d'où émerge la figure d'Alessandra, une adolescente dans toute la plénitude de ses doutes, qui devra partager la fuite de son père traqué par une intelligence quantique libérée par Brian Vanderhall et dont les pouvoirs semblent ne connaître aucune limites. Comment ces protagonistes vont se sortir de cette histoire mal engagée où ils paraissent voués à une défaite inéluctable face à la puissance d'un entité quantique disposant de ressources surhumaines, tel est le tour de passe passe enveloppé de mystère que David Walton qui a déjà reçu le convoité prix Philip K. Dick pour son précédent roman Terminal mind, paru en France chez Panini Books en 2013, nous propose de suivre tout au long d'un récit dont le suspense est maintenu à chaque détour de page. A noter également la postface de Roland Lehoucq, Physique et réalité, qui nous dévoile tout ce que nous devons savoir sur les multiples implications de cette fameuse physique quantique domaine de prédilection des pluri possibles dont raffolent les auteurs de science-fiction.
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Les peaux épaisses
(Roman) Space Fantasy
AUTEUR : Laurent GENEFORT (France)
EDITEUR : GALLIMARD-Folio SF 616, 9/2018 — 272 p., 7.80 €
COUVERTURE : Denis Bajram
Précédentes publications :
● Fleuve Noir-Anticipation 1884, 9/1992 — 190 p./Couverture de Jean-Jacques Chaubin
● Mnémos-Science-Fiction 29, 3/1998 — 240 p./Couverture de Pierre-Alain Cartier & J. France
● Editions Critic-Science-Fiction, 10/2012 — 15 €
La réédition du 4ème roman de Genefort, publié au Fleuve Noir en 1992. Elle est ici considérablement remaniée et s'insère dans la trame de  sa Panstructure, ce véritable livre-univers dont chaque roman représente des infimes fragments qu’il sème comme des cailloux sur une piste. Les peaux-épaisses y occupent une place de choix. Ce sont des humains altérés génétiquement afin de pouvoir travailler dans le vide de l’espace. Lark, l’un d’entre eux, souhaite mettre un terme à sa brillante carrière de mercenaire. Mais voilà, Roko, l’un de ses anciens élèves est engagé par la firme Colexo pour exterminer les Nomarals, le clan de Peaux-épaisses auquel justement Lark appartient. Dés lors s’engage une formidable course-poursuite à travers le cosmos. Un space-opera débridé qui permet à Laurent Genefort de faire étalage de tout son talent dans la structure de l’intrigue basée sur des recherches précises (biotechnologie, informatique, nanotechnologie, etc...). L’occasion également de confronter des personnages hors du commun à la toute puissance des multinationales qui dominent cette version d’un futur quadrillé par les Portes de Vangk, artefacts extraterrestres qui assurent le transport des vaisseaux et les communications dans toute la galaxie On retrouve dans ce roman la même problématique de  survie que celle des Mutants de Blade Runner ou des Sans Ventre de la série Space 2063, le tout donnant au livre un aspect profondément humain qui ne peut que s’épanouir au contact des mondes visités que Genefort, comme à son habitude, excelle à peupler d’une manière inventive et parfaitement élaborée. Une réédition qui ne peut donc que séduire et donner envie de lire les autres ouvrages d’un auteur phare de la science-fiction francophone.
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jeudi 1 novembre 2018


L’inclinaison
(Roman) Science-Fiction / Voyages Temporels
AUTEUR : Christopher PRIEST (Angleterre)
EDITEUR : Gallimard-Folio SF 611, 8/2018 — 498 p., 8.50 €
TO : The gradual, Gollancz, 2016
TRADUCTION : Jacques Collin
COUVERTURE : Aurélien Police
Précédente publication : Denoël-Lunes d’Encre, 10/2016 — 398 p., 23 € — Couverture de Aurélien Police
→ Avec ce roman, préalablement publié aux éditions Lunes d’Encre et repris aujourd'hui en poche chez Folio SF,  l’auteur britannique Christopher Priest revient sur son univers de prédilection de l’Archipel du Rêve au sein duquel il nous avait déjà proposé de multiples voyages à travers ses précédents romans tels que Les Insulaires, L’Archipel du Rêve, L’Adjacent ou La fontaine pétrifiante. Brodant astucieusement son intrigue dans le canevas des paradoxes temporels, il propulse son héros, Alesandro Sussken, musicien célèbre évoluant au sein d’une dictature dont la junte au pouvoir l’incite à entamer une tournée organisée par son omniprésent promoteur Ders Axxon qui le conduirait dans le fameux Archipel composé d’îles où il avait toujours rêvé d’exprimer sa musique et, en particulier, sur Temmil, berceau de And Ante, guitariste de rock qu’Alesandro accusé d’avoir plagié son œuvre. Approchant la cinquantaine, le brillant musicien a trouvé son inspiration très jeune dans l’observation de ces îles, à une époque où les bombes pleuvaient autour de lui, tandis que s’opposaient l’Alliance de Faiandland et la république de Glaund où il était né. Puis le conflit s’est déplacé vers la partie méridionale de l’Archipel, vers le continent de Sudmaieure, un sud où a disparu son frère  Jacq, évaporé sur le front,  et qu’il ne désespère pas de retrouver même s’il est trop tard pour ses parents anéantis par la perte de ce fils aîné. Cependant son voyage, plus que sa quête d’un proche perdu et que le moyen d’exprimer tout son talent, va le confronter à l’intimité de son être par sa rencontre avec le graduel, cet étrange phénomène spatio-temporel qui baigne ses îles pas comme les autres. En effet, d’une île à l’autre, le temps ne s’écoule pas de la même manière. Tantôt en avance, tantôt en retard sur le temps absolu, ces tranches divergentes de temporalités provoquent pour Alesandro une altération du temps, positive ou négative, selon les directions qu’il a emprunté et les durées de ses séjours sur les îles qu’il a abordé. D’où le terme d’inclinaison, qui caractérise à la fois la position du voyageur par rapport à l’axe temporel commun, mais aussi celle de son esprit qui s’ouvre enfin à la réelle connaissance du monde qui l’entoure. Car, au retour de son périple musical, Alesandro prendra conscience de la tyrannie et la censure qui gangrène l’univers de Glaund où il a grandit. Véritablement transfiguré par son voyage, il doit faire face à la mort de ses parents et au départ de son épouse, mais, paradoxalement,  il se sent enfin véritablement vivant et décidé à agir sur le monde qui l’entoure en dépit des risques qui pèse sur sa propre liberté. Et pour s’extirper du carcan où voudrait l’enfermer la dictature qui l’opprime, il doit à nouveau fuir dans ces îles si tentatrices et dangereuses à la fois. A travers le personnage d’Alesandro, Christopher Priest nous convie à une sort de vagabondage mystique, sous forme d’introspection intérieure, d’un être en perte de repères et qui ne parvient pas à se raccrocher à l’ambivalente de chacune des îles visitées, dont le pendant technologique, culturel et sociologique clairement détaillé, est repoussé en toile de fond par la perpétuelle atmosphère d’étrangeté qui imprègne ses lieux soumis aux aléa du gradiant temporel provoqué par cette sorte de vortex qui enveloppe l’archipel, créant à chaque déplacement des distorsions par rapport au temps réel des principaux belligérants. Ainsi, Alesandro, tel Alan Corday, le spationaute de Retour à demain de Ron Hubbard (il a quand même fait quelques petits romans de SF avant de trouver une piteuse gloire à travers sa dianétique racoleuse) va, à son retour des îles, s’apercevoir que le temps a évolué différemment pour son entourage. Négligeant l’approche de l’explication scientifique, Christopher Priest joue sur ce paradoxe afin de proposer au lecteur une réflexion à la fois sur l’art, sur le temps, mais aussi sur le devenir des êtres et leur profonde implication dans l’univers qui les entoure. Auteur de ce que l’on a appelé le courant new wave de la SF britannique, que les anciens passionnés de littérature imaginaire ont pu notamment découvrir en France dans la collection Dimensions SF de l’éditeur Calmann-Lévy aux côtés de romanciers tels que Ian Watson, Samuel Delany, G J. Ballard ou Michael G. Coney, Christopher Priest exprime une fois de plus à travers cette histoire sa propre petite musique éloignée des chemins de la SF traditionnelle, plus réaliste que scientifique, plus poétique qu’aventureuse, et chargé d’un mystère qui ne se dévoile jamais réellement, tout en proposant une approche originale de la thématique des voyages temporels, comme a pus déjà le faire, par exemple, Jack Finney dans son célèbre Voyage de Simon Morley.
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Latium II
(Roman) Space Opera
AUTEUR : Romain LUCAZEAU (France)
EDITEUR : Gallimard-Folio SF 614, 9/2018 — 624 p., 9.40 €
COUVERTURE : Manchu
Précédente publication : Denoël-Lunes d’Encre, 11/2016 — 512 p., 22.50 € — Couverture de manchu
Nous avions quitté Othon et Plautine, les deux Intelligences Artificielles confrontés à la menace des barbares extraterrestres sur fond de gigantesque combat stellaire mettant aux prises les envahisseurs et les hommes-chiens d’Eurybiades créés par Othon qui, peu à peu, apprennent à découvrir la véritable nature de leur Dieu et ses faiblesses. Après une bataille homérique qui a accouché d’une Nouvelle Plautine, IA forcée de se transformer en être de chair pour échapper à la destruction, voilà que l’ensemble des protagonistes retournent vers l’Urbs, le siège du pouvoir impérial. Or cette capitale de la Rome éternelle n’a plus guère de ressemblance avec son illustre aînée. Hellénisée, alexandranisée, elle est désormais le siège de multiples intrigues d’où émergent les figures de l’Imperator Galbian dont le pouvoir lui glisse entre les doigts pour atterrir dans les griffes d’un Triumvirat  formé par Vinius, le créateur de Plautine, qui agit en médiateur, tandis que Latius contrôle la garde prétorienne et que Martian l’affranchi aime frapper dans l’ombre. Dés lors un jeu d’alliance et de compromission va se répandre au sein de cet aéropage, proposant une lecture à plusieurs niveaux où l’on continuera de suivre les pérégrinations des deux héros, Othon et la Nouvelle Plautine qui, en ce qui la concerne, n’hésitera pas à se compromettre avec la résistance plébéiennes toujours en lutte contre les inévitables patriciens. Mais, tout ne se déroule pas comme prévu et ensemble ils devront à nouveau fuir une Urbs bien décidée à les faire disparaître de l’univers du Latium. Les voilà donc repartis dans une formidable épopée stellaire où ils iront de planètes en planètes (Mars, Europe…) rencontrant toutes sortes de personnages, dont le fabuleux Plutarque. Tandis que les hommes-chiens sont tentés par la sédition, ils devront à nouveau affronter des flottes sidérale lancés sur leurs traces et, petit à petit, nous suivrons le cheminement des pensées de Plautine greffée sur la piste de Béréniké et sa logique monstrueuse et parvenant à lever les voiles du mystère entourant l’Hécatombe pas si énigmatique que l’on croyait, mais plutôt perversement provoquée afin de répondre d’un façon radicale à l’aspiration de transcendance computationnelle que l’Humanité avait toujours caressé, sans oser véritablement se donner les moyens d’y parvenir. Entrer plus avant dans le tourbillon de cette intrigue, toujours aussi marquée par l’influence des maîtres en la matière que sont Dan Simmons et Ian M. Banks, ne servirait qu’à atténuer le plaisir du lecteur qui se faufilera pages après page dans les multiples ramifications de ce space opera grand spectacle construit comme une tragédie classique dont l’auteur avait jet é le premier jet en 2010 avant de boucler le manuscrit final au prix de maintes réécritures. Assurément un grand moment de lecture qui marquera le catalogue des parutions SF de ce début d’année 2017.
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(Roman) Space Opera
AUTEUR : Romain LUCAZEAU (France)
EDITEUR : Gallimard-Folio SF 613, 9/2018 — 560 p., 8.90 €
COUVERTURE : Manchu
Précédente publication : Denoël-Lunes d’Encre, 11/2016 sous le titre Latium – Tome 1 — 506 p., 22.50 € — Couverture de Manchu
Pour son premier roman de science-fiction publié (il avait déjà œuvré du côté des nouvelles dans des revues telles que le québécois Brins d’Eternité ou le Présence d’Esprits parrainé par Denoël) le moins que l’on puisse dire est que le livre de Romain Lucazeau n’est pas passé inaperçu. Les critiques ont fleuri sur le net comme nos campagnes au printemps et, à part quelques sons de cloches défavorables, la plupart n’ont pas tari d’éloges sur cet énorme pavé publié pour la première fois en 2 tomes dans la fameuse collection lunes d'Encre à cette époque présidée par Gilles Dumay dont on ne louera jamais assez l’intensité du travail rédactionnel et l’aptitude à braquer la lumière des projecteurs sur de nouvelles plumes autant que sur des valeurs sures des domaines de la SF, et rééditié aujourd'hui en Folio. Si l’inspiration tirée des maîtres tels que Ian M. Banks ou Dan Simmons se révèle indéniable, se serait faire injure à l’auteur que d’affirmer qu’il s’est contenté de copier avec brio leur œuvre. Non, l’écriture de Romain Lucazeau, qui enseigna un temps la philosophie politique à l’université, coule comme un fleuve tranquille sur lequel on se laisse aisément entraîner. Chaque phrase parfaitement ciselée nous oblige à brancher notre esprit sur l’avalanche d’images quelles nous suggèrent, à peine tempérée par des termes sortant du vocabulaire lexical usuel dont l’explication nous est chaque fois fournie en bas de page, l’espace d’un simple coup d’œil qui ne retard pas vraiment la lecture. Mais passons à l’intrigue. De son propre aveu (interview sur le site actusf) l’auteur affirme avoir tout d’abord voulu écrire l’histoire « de princes et de princesses à la mode antique, très beaux, très froids, et calculateurs, se livrant à des intrigues et des combats, dans l’espace, avec des palais à colonnes et des cultes païens ». Une sorte de mélange entre space-opera et Antiquité, tel qu’on l’a découvert de livres comme les Illium et Olympos de Dan Simmons ou l’on retrouve une histoire détournée de la fabuleuse civilisation gréco-romaine, ou dans le Roma AEterna de Robert Silberberg et Le soldat de brumes de Gene Wolfe. Ici ce sont cependant de fascinantes Intelligences Artificielles qui tiennent le haut du pavé. Des automates orphelins de leurs créateurs, l’espèce humaine qui, après avoir commencé à essaimer dans le cosmos, a soudain été anéantie par l’Hécatombe, une mystérieuse épidémie qui l’a rayé de la carte de l’univers. Un moment perdu devant l’absence de leurs créateurs, les IA, ces serviteurs métalliques intelligents, ont fini par peupler l’espace anciennement colonisée par l’homme en créant la civilisation de l’Urbs, sorte de gigantesque satellite artificiel en forme de tambour, régi par les règles de la civilisation greco-romaine qui prédominait à la disparition de leurs maîtres. Régnant désormais sur le Latium, l’espace épanthropique où les humains avaient jadis vécu, les IA sont cependant confrontés dans les Limes, cette sorte de no-man’s-land volontairement créé à la frontière de leur gigantesque territoire, à la menace des barbares, des extraterrestres qui cherchent à envahir les territoires colonisées par les IA. Bloqués par le Carcan, émanation des lois de la robotique d’Asimov qui leur interdit de porter atteinte à un être vivant, ces dernières ont du innover. Ainsi certaines d’entre elles, animés par leur esprit rebelles, se sont incarnées dans les Nefs, d’immenses navires interstellaires entièrement automatisés. Telle a été le cas de Plautine, l’intelligence qui n’a pas perdu espoir de retrouver un jour un humain survivant et qui erre, dans un demi-sommeil, aux limités des Limes, ainsi qu’d’Othon, un guerrier par excellence qui a terraformé la planète Ksi Bootis afin d’y élever une race d’homme-chiens vivant sur le modèle de l’Antiquité grecque, qui l’adorent en tant que Dieu et qui combattront les barbares à sa place. Tout commence, dans ce livre par un mystérieux signal capté par la nef de Plautine. S’accrochant au moindre espoir d’une survie humaine, cette dernière décide de remonter à sa source et, pour cela,  elle demande l’aide son ancien allié, Othon, l’autre rebelle d’Urbs. Et nous voilà embarqués dans plus de 500 pages d’une aventure qui se déploie telle une gigantesque fresque focalisant tour à tour notre attention sur une civilisation de l’Urbs, dont les sénateurs, encore marqués par la perte du Dieu qu’a été l’homme, tergiversent pour prendre les décisions, ou sur des hommes-chiens qui s’extirpent peu à peu de leur domination mystique pour s’interroger sur les faiblesses d’Othon leur créateur, le tout sur fond de gigantesque affrontement sidéral qui conduira à la transformation de l’autre protagoniste du récit, Pauline, la fascinante IA en mal d’humain. Marqué du sceau de la tragédie, et de celle de Corneille en particulier,  plongé dans les méandres d’une philosophie tirée de la Monadologie de Leibtnitz, empruntant les sentiers de Frankenstein ou de l’île du docteur Moreau dans la recréation du vivant sous l’égide d’Othon, ce roman nous immerge dans le chaudron des interrogations métaphysiques posées aux IA, uniques protagonistes de ce récit évoluant dans l’ombre de la religion pythagorienne et néoplatonicienne, centrée sur le soleil, les nombres et les concepts, et formant une image  d’un futur basé sur l’évolution  d’une civilisation romaine dont l’influence ne se serait jamais éteinte. Assurément un grand livre, dont le second dytique devrait tenir les promesses affichées dans ce premier opus.
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Conséquences d'une disparition
(Roman) Science-Fiction
AUTEUR : Christopher PRIEST (Grande Bretagne)
EDITEUR : DENOËL-Lunes d'Encre, 8/2018 — 335 p., 21.50 €
TO: An american story, Gollancz, 2018
TRADUCTION : Jacques Collin
COUVERTURE : Aurélien Police
→ Les lecteurs de SF français connaissent bien Christopher Priest. Ils l'on vu débouler au catalogue de la collection Dimensions SF des éditions Calmann-Lévy, qui avait l'ambition de faire découvrir aux mangeurs de grenouilles un autre volet de la science-fiction s'apparentant souvent à ceux que les anglo-saxons appelèrent la New wave. C'est ainsi qu'aux côtés de Priest (Le monde inverti, Futur intérieur, La fontaine pétrifiante) on découvrait des auteurs phares de cette nouvelle SF britannique comme Ian Watson, J.G. Ballard, Brian Aldiss accompagnés par des célébrités venues d'Amériques tels que Philip K. Dick, Frederik Pohl, Robert Sheckley, etc… Cette fois, l'auteur de Prestige, adapté à l'écran par Christopher Nolan, nous invite sous l'emballage d'une touchante histoire d'amour à une réflexion sur la vérité, telle que nous la matraque les sommaires de journaux télévisés. Ne tombant pas dans l'écueil du récit complotiste, Christopher Priest nous propose de partager les interrogations de Ben Matson, anglais et pigiste régulier, dont l'existence n'a plus le même goût qu'avant depuis qu'il a perdu Lilian Viklund, une jeune femme avec qui il avait noué une liaison passionnée jusqu'à sa brutale disparition lors des attentats du 11 septembre en tant que passagère de l'avion qui s'était écrasé sur le Pentagone. Vingt ans après, Ben n'a toujours pas fait son deuil et le souvenir de la belle Lilian remonte cruellement à sa mémoire avec le décès du scientifique Kyril Tatarov, qu'il a naguère interviewé et dont la brève et énigmatique disparition de 2006 avait questionné pas mal de services secrets de par le monde. Une mort qui s'accompagne de la découverte de l'épave d'un avion  à une centaine de miles des côtes américaines. L'implication de la CIA pour prendre en main les recherches autour de cet objet ressurgi des profondeurs marines ainsi que les propos de Tatarov qui mettait en doute la théorie officielle concernant les événements terroristes de 2001 entraîne Ben et le lecteur qui l'accompagne dans des allers-retours entre le présent et le passé à la recherche d'une vérité qui ne serait pas celle pour laquelle ont nous aurait formatés. Sans envolée dans le vide interstellaire, ni menace d'intelligence artificielle ou d'ET aux contours et motivations indéfinissables, Christopher Priest démontre que l'on peut construire un roman de science-fiction en s'appuyant matière vivante de la réalité, à condition de disposer d'un talent d'écrivain suffisant pour tisser une intrigue convaincante sur des faits qui nous ont tous, un jour ou l'autre, poussé à la réflexion. Précisant lui-même qu'il ne partage pas forcément les idées de son héros Ben, pas vraiment un journaliste d'investigation, mais un homme brisé rongé par le besoin d'en découvrir plus sur la disparition de l'être aimé. Ce faisant, il pointe le doigt sur la désagréable sensation que dans le monde où nous évoluons aujourd'hui, ce qu'il appelle les "dissonances cognitives", c'est-à-dire la sensation diffuse que quelque chose ne tourne pas rond dans la soupe que nous servent réseaux sociaux et antennes relais, nous pourrissent parfois la vie avant que nous rattrape le besoin de se raccrocher aux versions officielles nous confortant dans des certitudes ébranlées par notre propre subconscient. Et rien que pour cela il faut lire ce livre qui peut s'apparente au clignotement d'un phare venu nous rappeler que la manipulation fait partie de ce monde et que ceux qui la dénonce sont vite cloués au pilorie, même s'ils le font d'une toute petite voix. Un roman qui n'a pas été publié par les éditeurs américains, peut-être encore trop à fleur de peau avec tout ce qui touche à la destruction des tours jumelles…


Les quatre-vingt-un frères
(Roman) Urban Fantasy
AUTEUR : Romain d'HUISSIER (France)
EDITEUR : GALLIMARD-Folio SF 609, 9/2018 — 377 p., 8.30 €
SERIE: Chroniques de l'Etrange 1
COUVERTURE : Alain Brion
Précédente publication : Editions Critic-Fantasy, 10/2015 sous le titre Les 81  frères — 352 p., 22 € — Couverture de Xavier Collette
→ Bienvenu dans le Hong Kong de l'après Rétrocession. Un monde où se côtoient les buildings de verre et l'ancienne magie. Car, à côtés des traders et des multiples représentations d'une civilisation moderne où le net à pignon sur rue vivent également des démons, des monstres et des esprits. En effet les créatures mythiques ne peuvent pas se passer de l'humanité. Pour elles les hommes sont à la fois des proies, des compagnons, des objets de curiosité, des cousins éloignés, mais aussi terriblement proches… Tout à fait comparables à des immigrés humains, ils finissent par s'adapter et à trouver leur place dans les gigantesques métropoles. Cependant, il arrive parfois que certains dérapent, causant des troubles que la police n'est guère équipée o entraînée pour affronter. C'est là qu'intervient Johnny Kwan, le fat si, entendez un exorciste taôiste qui possède un don inné le rendant particulièrement sensible aux phénomènes surnaturels. Client régulier des services de la police et, le plus souvent, de son ami, l'inspecteur Daniel Sung, il est appelé afin de mettre un terme, si possible de manière légale, à l'apparition surnaturelle qui est venu menacer l'intégrité physique ou mentale de son client. Son but : traquer et chasser l'importun, puis purifier l'atmosphère afin que soit rétabli l'équilibre parfait entre le yin et le yang. Il venait justement de mettre fin, non sans avoir payé de sa personne, aux agissements de deux sezing, de redoutables esprits-serpents qui s'était introduits dans la demeure d'un humble boutiquier, quand l'inspecteur Sung, vient lui proposer un dossier qui pourrait bien améliorer ses fins de mois parfois difficiles : retrouver un lot d'antiquités volées dans un entrepôt et destinée à compléter du richissime collectionneur Anthony Chau, l'une des personnalités les plus en vue de Hong Kong. Préoccupé par la mort mystérieuse de son mentor Eric Tse, le meilleur spécialiste en spectres et fantômes de tout Hong Kong, il se lance tout de même dans cette périlleuse enquête qui le conduira bientôt dans la demeure souterraine de Ngou Zong, un dangereux et vénérable roi-dragon. Ce dernier lui apprend que le vol objet de ses investigations pourrait bien être en rapport avec le fieu-démon Ci Jau, qui défia jadis l'Empereur Jaune durant les âges mythiques. Vaincu, il fut enfermé dans un prison mystique d'où, semble-t-il voulait le sortir des êtres sûrement pas animés des meilleures intentions. Menacé,  attaqué par toutes sortes de créatures  peu recommandables, Johnny Kwan se retrouve sur les traces de Quatre-vingt-un Frères, une mystérieuse congrégation composée de Hmong, les descendants des sujets de Ci Jau. Aidé par Bui Hok, l'impressionnant général du roi-dragon, et Ann Lung, une nonne guerrière très expérimentée dotée d'un puissant talent d'évocatrice. Avec sa besace, bourrée d'armes les plus hétéroclites, sa façon de surfer sur le taonet, sorte d'internet underground constituée par les divers sites, forums et blogs tenus par des fat si, Johnny est un enquêteur de l'étrange pas comme les autres. S'inscrivant dans les lignées des Harry Dresden des Dossiers Dresden de Jim Butcher, du farfadet Maspalio du cycle d''Abyme de Mathieu Gaborit, John Taylor du celui du Nightside de Simon R. Green, ce premier roman nous propose en prime une description fascinante de ce Hong Kong du proche futur qui, ville-archipel qui s'imbrique à merveille dans le créneau de l'urban fantasy avec son savant mélange de traditions anciennes et d'ultra-modernité. Un récit qui se conclut par la réédition de la nouvelle Vengeance pour un dragon publiée à l'origine dans l'anthologie L'Amicale des Jeteurs de Sorts aux éditions Malpertuis en 2013, sorte de prototype de l'univers des Chroniques de l'étrange, dont l'action se situe quelques semaines avant les événements relatés dans ce roman.
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mercredi 17 octobre 2018


Terres de glace
(Roman) Jeunesse / Aventure Fantasy
AUTEUR : Cassandra O'DONNELL (France)
EDITEUR : FLAMMARION JEUNESSE-Hors Collection, 6/2018 — 224 p., 10 €
SERIE : Malenfer Les Terres de magie 5
COUVERTURE & ILLUSTRATIONS : Jérémy Fleury
Autres titres du cycle : 1.La forêt des ténèbres – 2.La source magique – 3.Les héritiers – 4.Les sorcières des marais
→  Grâce aux pouvoirs de Diseuse de Zoé son frère Gabriel, le jeune maître dragon et ses amis ont pu sortir vainqueur de la bataille des marais de Houquelande qui les opposaient aux Souriciens et aux sorcières félonnes. Mais si Zoé s'était révélé alors comme l'une des créatures magiques les plus puissantes de ce monde, elle   n'était pas encore capable de contrôler l'étendue de ses pouvoirs, ce qui la rendait aussi dangereuse pour ses ennemis que pour ses alliés. Dés lors Batavius, le sorcier-lune de Gazmoria, mentor de Gabriel, l'héritier qui s'est dressé face à toute puissance des Souriciens, décide de l'envoyer chez Haya l'ancienne, une vieille magicienne habitant dans une grotte de l'autre côté des Terres Magiques qui devra lui apprendre à maîtriser son don. Malgré ses réticences, Zoé accepte de monter sur le dos d'Elzemath, le dragon de ténèbres lié à Gabriel, qui la conduira vers Haya. Pendant ce temps l'Héritier et ses compagnons, M. Plexus le nain, Mme Cranechauve le troll, Mme Laurence la sorcière, Ysallandrill l'elfe de glace, Mme Elfie l'elfe et M. Lycantropus le loup-garou, partent en direction du pays des lacs où ils ont localisé la présence de Linus, l'un des trois chefs souriciens qui ont juré la perte des Héritiers. En chemin, ils rencontrent une sorcière mourante qui leur annonce qu'un traître se cache dans leur rang, puis ils font étape dans la cité marchande de Mitrill dirigée par les Erzath, des gnomes aux pouvoirs terrifiants. Pendant ce temps Zoé conduite par Elzemath arrive dans son village de Wallagar et constate que celui-ci a été détruit et que sa famille a disparu. Cependant leurs amis Thomas, Ezéchiel et Morgane sont encore en vie, mais prisonniers des ombrachs. Gabriel devra les délivrer avant de s'enfoncer dans les Terres de Glace jusqu'au palais des sanguinaires loups-garous où M. Lycantropus, en réalité le prince Eliazad, banni de son royaume par son propre frère, le maléfique Linus, devra se battre pour récupérer sa couronne, tandis que se profile l'ombre menaçante d'un terrible cavalier noir. Le second tome de la nouvelle trilogie, Malenfer Terres de magie, série de Fantasy  imaginant un univers où le monde a été séparé entre les terres magiques et celles de humains dont le premier tome La forêt des ténèbres a été adapté en BD, qui confirme tout le talent de Cassandra O'Donnell, auteur jeunesse à qui l'on doit également le succès du cycle du Monde Sombreterre. Une nouvelle fois elle entraîne ses lecteurs dans une passionnante aventure pleine de magie et de dragons portée par des personnages dont on partage avec tout autant d'intérêt les multiples péripéties auxquelles ils sont confrontés que les émotions qui les animent.

lundi 15 octobre 2018


Un homme plein de misère
(Roman)
AUTEUR : Jacques ABEILLE (France)
EDITEUR : GALLIMARD JEUNESSE-Folio SF 612, 8/2018 — 818 p., 11.20 €
SERIE : Le Cycle des Contrées
COUVERTURE : Anne-Gaëlle Amiot
Autres titres du cycle : 1.Les jardins statutaires – 2.Le Veilleur du Jour – 3.Les voyages du fils – 4.Chroniques scandaleuses de Terrèbre – 5.Les mers perdues – 6.Les Barbares – 7.La Barbarie – HS.Le monde des Contrées
  Un matin les barbares furent là. Ils n'arrivaient pas seuls mais eurent tôt fait d'être les maîtres de Terrèbre. Puis ils évacuèrent la ville afin de permettre  à leurs chevaux de se nourrir en toute liberté. Peu à peu la population oscille entre résistance et collaboration, tandis que la cité éventrée s'ensauvage de plus en plus. Au sein de cette occupation mal définie perce la présence du narrateur, le "Professeur", jeune linguiste qui est le seul à parler le langage des barbares venus de steppes et qui s'est vu offrir par un mystérieux voyageur le dernier livre des jardins statuaires, ce haut plateau de l'est du continent où des jardiniers pas comme les autres faisaient surgir de terre de fascinantes statues de pierre en voie d'extinction. Or le Prince, énigmatique chef des troupes d'invasions, qui a unifié les tribus nomades pour parvenir à ses fins, le convoque juste avant de quitter la ville avec toute son armée. Ainsi le Professeur devient l'historiographe de cet homme qui semble ne pas avoir toujours toute sa raison engagé dans un voyage de plusieurs années dans le vaste monde des Contrées afin de retrouver une jeune fille et son père. Un individu parfaitement insérée dans l'atmosphère de fin de monde qui domine le livre et dont la noire mélancolie s'écoule lentement au fil des pages. A ses côtés des individus hors normes, comme une étrange magicienne bleue, Uen'Ord, son fidèle et impressionnant lieutenant, et Félix, jeune esclave capturé destiné à devenir le secrétaire particulier du linguiste. Tandis que les nomades rentrent peu à peu chez eux, l'imposante armée se délite progressivement pour ne former à la fin qu'un petit groupe regroupé autour de leur Prince. Tout au long de cette vaste pérégrination l'auteur a le mérite de toujours maintenir le fil de l'intrigue, tout en nous invitant à partager les états d'âmes d'un linguiste spectateur impuissant d'un monde en train disparaître, celui des nomades dont les tribus se sédentarisent les unes après les autres, celui de la fin des jardins statutaires et de l'imaginaire baroque qu'ils engendraient. Véritable récit initiatique, le roman ne néglige pas pour autant les auras de l'aventure guerrière, avec des rencontres singulières, telles ces amazones qui terrorisent les plus vaillants cavaliers, ou les tombes de la vallée des Anciens Rois, sans oublier des guildes aux ramifications tentaculaires telle que celle des hôteliers. A la fin de ce voyage épique qui, sous le maque de l'étrangeté brosse des préoccupations et des ingérences se télescopant avec les errements de notre quotidien, on s'attardera sur un Professeur vieillissant et malade qui se lit d'amitié avec Ludovic Lindien, le fils de Barthelemy Lecriveur, le narrateur du Veilleur du jour qui avait écrit ses mémoires et livrait ainsi des pans de révélations sur le disparition du chancelier Louvois, juste avant l'invasion de Terrèbre par les barbares, et sur l'atmosphère de trahison qui régnait dans la ville. Grand admirateur de Gérard de Nerval, à qui il a dédié le Veilleur du jour, second tome du Cycle des Contrées, Jacques Abeille a côtoyé la mouvance du surréalisme, et l'on peut aussi entrevoir dans on œuvre des influence de Gracq ou de Borges. Reconnu sur le tard, Jacques Abeille se défini lui-même comme un écrivain obscur réfugié dans la littérature à la perte de sa première passion, la peinture, après la découverte de son daltonisme. Puisant le titre de son roman dans un passage des pensées de Pascal : «Qu’on laisse un roi tout seul sans aucune satisfaction des sens, sans aucun soin dans l’esprit, sans compagnie, penser à lui tout à loisir, et l’on verra qu’un roi sans divertissement est un homme plein de misères», il continue de fourvoyer ses lecteurs dans un imaginaire enténébré que porte à merveille sa plume incomparable plongée dans l'encrier d'un déclinant archaïsme. Pas de véritables leçons de morales dans ses pages, où chaque protagoniste du Cycle des Contrées peut se considérer responsable, à moindre ou grande part de la lente agonie de l'univers ambiant, nouvelle passerelle nous rapprochant de notre propre condamnation programmée de la planète qui nous abrite. Reprenant les ouvrages, Les Barbares et La Barbarie, paru aux éditions Attila en 2011, ce livre est une nouvelle perle au sein d'une œuvre qui trouva son juste miroir graphique dans les dessins de l'illustrateur François Schuiten, auteur des couvertures de certains volumes chez Attila et dans le roman graphique Les mers perdues publié chez Attila en 2010. Assurément un livre qui ne contribuera qu'à confirmer l'étiquette de singularité dont peut légitimement s'honorer son auteur digne des plus grands créateurs d'univers anglo-saxons.


Les serres du pouvoir
(Roman) Jeunesse / Dragon Saga
AUTEUR : Tui T. SUTHERLAND (Usa)
EDITEUR : GALLIMARD JEUNESSE-Hors Collection, 9/2018 — 380 p. p., 16 €
SERIE : Les Royaumes de Feu
TO: Wings of fir. Talons of power, Scholastic, 2017
TRADUCTION : Vanessa Rubio-Barreau
COUVERTURE : Phil Falco
ILLUSTRATIONS : Joy Ang
→ Dans les 8 premiers tomes de cette série de Fantasy qui met en scène une civilisation de dragons, on avait suivi les aventures des cinq Dragonnets du Destin, Argil, Tsunami, Gloria, Comète et Sunny, élevés en secret par les Serres de Paix et, qui selon une prophétie, détenaient seuls le pouvoir d'empêcher qu'une terrible guerre dévaste le monde des dragons. Mais ces derniers s'aperçurent vite que la fameuse prophétie n'était qu'un stratagème des Ailes de Nuit pour s'emparer du monde de Pyrrhia, l'univers des dragons. Heureusement grâce à leur ténacité et à leur courage ils finiront par juguler le péril personnalisé par la terrible reine Scarlet et par fonder l'école de la montagne de Jade où les jeunes dragonnets de chaque clans, Sable, Boue, Ciel, Mer, Glace, Pluie, et Nuit, peuvent apprendre à se connaître et à s'apprécier en dépit de leurs différences. Tout semble donc désormais être entré dans l'ordre jusqu'à ce qu'un jeune Aile de Nuit découvre une nouvelle prophétie qui incite à prendre garde à une sinistre part d'ombre, à un être qui hante les rêves sombres, et aux serres de feu et du pouvoir, annonçant la destruction de la montagne de Jade, à moins de retrouver une mystérieuses Cité de la Nuit. Et voilà justement que Spectral, le dragon ancestral des légendes resté prisonnier sous terre pendant deux mille ans, est réveillé par Péril. Les dragonnets, terrorisés, semblent avoir tout à redouter de lui, d'autant plus que selon la légende il n'aspirerait qu'à se venger de sa compagne Clairevue qui l'avait trahie en s'enfuyant avec l'Aile de Mer Percevagues. Cependant, tout au contraire, il se montre enjoué et presque prévenant, n'hésitant pas à aider les dragons qu'ils rencontrent. Cependant, Triton, le jeune Aile de Mer, le soupçonne de dissimuler ses véritables intentions, car Spectral est un dragon télépathe, mais surtout un Animus, c'est-à-dire qu'il est capable de jeter des sorts sur tout ce qui l'entoure. Alors, est-ce que la sympathie générale qui suit son passage ne serait pas due à un simple envoûtement ? Triton qui, dés son plus jeune âge, rêvait de devenir un héros, mais qui avait vite déchanté en s'estimant responsable de la mort de jeunes dragonnets sur le point d'éclore, profite également de ses talents d'Animus, qu'il a dissimulé à son entourage, pour se rendre invisible et ainsi épier les moindres actions de Spectral. Bientôt, il sera aidé dans sa tache par la jeune Aile de Pluie Kinkajou, dont il est secrètement amoureux Malheureusement il devra faire face aux instincts meurtriers de sa sœur Anémone, elle aussi dotée du talent d'Animus, qui semble avoir lié son sort à celui de SpectralDe son côté le grand dragon noir, jouant sur la peur et le respect qu'impose sa puissance, est bien décidé à devenir roi des Ailes de Nuit, au détriment de Gloira, la reine actuelle, dont l'autorité a été remise en cause car elle n'est pas originaire du clan. Et si tous les efforts de Triton pour l'empêcher de réaliser ses diaboliques projets ne se terminaient que par une lamentable constant d'échec… La suite d'une série pour adolescents plébiscitée à travers le monde dont l'auteur augmente habilement le nombre des personnages en les incluant dans le cœur du récit où apparaissent également d'anciens protagonistes de la saga, ce qui a pour effet de fidéliser les lecteur tout en leur offrant le surplus de piquant et de nouveautés nécessaires pour alimenter le flux de l'intrigue. Un livre toujours accompagné par un précieux dossier répertoriant les différents clans de dragons, par une carte du monde de Pyrrhia et par les remarquables illustrations de Joy Ang.

mercredi 10 octobre 2018


L'épée de l'hiver
(Roman) Aventures Fantasy
AUTEUR : Martha RANDALL (Usa)
EDITEUR : GALLIMARD-Folio SF 604, 4/2018 — 374 p., 7.40 €
TO : The sword of winter, 1983
TRADUCTION : Nathalie Serval
COUVERTURE : Alain Brion
Précédentes publications :
● Opta-Club du Livre d'Anticipation 121, 9/1986 — 400 p. — Couverture & illustrations de Florence Magnin
● Les Moutons Electriques, 5/2016 — 240 p., 19.90 € — Couverture de Melchior Ascaride
→ Rien ne prédestinait la farouche cavalière Leyth à croiser le chemin de l'orphelin Emris. Et pourtant,  en dépit des réticences de la jeune femme, leurs destins vont se trouver étroitement mêlés dans un monde menacé par le chaos déclenché par la lente agonie du tout puissant seigneur Gambin, qui a régné en tyran pendant de nombreuses années sur la glaciale province de Jentesi. Or, non content de prolonger plus que de raison son séjour sur terre, le perfide despote retarde la désignation de son successeur, ce qui, immanquablement provoque un affolement général parmi ceux qui espèrent coiffer la couronne à sa place. Une progéniture d'où émerge l'inquiétante présence de Culdyn, dangereux prince héritier dont notre héroïne se méfie au plus haut point et qu'elle n'entends surtout pas servir comme elle a été obligée de le faire en tant que femme-lige du diabolique Gambin. Ouvrant son premier chapitre dans la chaude atmosphère d'une taverne villageoise, enchaînant sur une suite de paysages enneigés et se terminant dans un huis-clos au sein du château de Jentesi, une citadelle minée par toutes sortes de complots et de trahisons, ce livre alterne avec bonheur les changements de décors tout en permettant aux lecteurs de s'appuyer sur une galerie de personnages finement ciselés  poussant secrètement leurs pions au seins de sanglantes intrigues qui permettent de maintenir l'attention à chaque détours de page. Tandis que les relations entre Leyth et Emris, farouchement résolu à découvrir le mystère d'une origine dont il est bien loin de deviner toutes les implications, le récit s'enfonce langoureusement dans la volontaire ambivalence provoquée par l'immersion dans ce décor semi-moyenâgeux. Un univers rongé par les transformations où dagues et épées, baronnies et guildes, dont celle des cavaliers transportant les messages à travers tout le royaume, et machine divinatoire cohabitent avec la modernité naissante d'un télégraphe balbutiant et d'une première ligne de chemin de fer, tandis des prémices d'armes à feux permettent de lutter contre les incursions préoccupantes  des Piégeurs. Porté par un personnage féminin qui affirme son emprise sur son entourage, ce qui, somme toute, représentait une thématique assez rare dans un roman écrit en 1983, ce livre, publié la première fois en France en 1986 dans la prestigieuse collection du Club du Livre d'Anticipation des éditions Opta avec les riches illustrations de Florence Magnin,  puis repris aux Moutons Electriques en 2016, méritait amplement cette réédition poche servie par une remarquable couverture d'Alain Brion qui nous transporte tout de suite dans l'ambiance aventureuse des premières pages du récit.
Autres couvertures :


lundi 1 octobre 2018


Kaboul et autres souvenirs de la Troisième Guerre Mondiale
(Recueil de nouvelles) Uchronie
AUTEUR : Michael MOORCOCK (Royaume Uni)
EDITEUR : DENOËL-Graphic, 7/2018 — 223 p., 23 €
TRADUCTION : Jean-Luc Fromental
COUVERTURE & ILLUSTRATIONS : Miles Hyman
SOMMAIRE :  ● Danse à Rome ● Escale au Canada ● Rupture à Pasadena ● Kaboul ● Incursion au Cambodge ● Le retour d'Odysseus
→ Que ce soit à travers son cycle d'Oswald Bastable ou les romans ancrés dans le Multivers (Elric, Erekosë, etc…) le vénérable auteur britannique Michael Moorcock nous a habitué à flirter avec l'Uchronie. Dans ce nouveau recueil brillamment imagé par les illustrations couleurs pleine page de Miles Hyman, il s'inspire à nouveau de cette thématique chère aux auteurs natifs de la perfide Albion. C'est ainsi qu'il nous invite à partager tout au long de six nouvelles l'errance à travers un monde en décomposition de Tom Dubrowski, espion russe d'origine juive. Nous faisons d'abord sa connaissance alors, qu'infiltré à Londres sous l'identité d'un antiquaire polonais, il est envoyé à Rome par son chef afin, en tant qu'agent dormant, de surveiller ses homologues ainsi que les traîtres éventuels, tout en signalant quiconque pouvait s'avérer d'une quelconque utilité pour les rouages obscurs des services du FSB. Tandis que les troupes de l'OTAN débarquaient à Chypre et que l'alliance syrienne équilibrait à peine la coalition israélo-égyptienne, Tom, à peine arrivé dans la cité éternelle, développe assez vite une relation intime avec Suzie Yellowless, petite anglaise venue du monde de la pop-music, qui le faisait profiter de son cercle d'amis et qui lui présenta Peter Martin et John Fuller, un couple d'homosexuels américains que ses supérieurs soupçonnaient d'appartenir à la CIA. Cette Danse à Rome se termine par un avortement et une mutation express à Kaboul. L'étape suivante de cette lente promenade au bord du gouffre nous propose une Escale au Canada, dans laquelle le narrateur en profite pour nous en dire un peu plus sur son passé, tout en continuant de retracer, sur fond de signature de pacte russo-indien, une nouvelle rencontre avec ces femmes souvent ectoplasmiques et interchangeables qui meublent son existence de nomade désœuvré. La suite, après un bref intermède à Maracaibo, entraîne notre globe-trotter de l'Armageddon dans Une rupture à Pasadena où il retrouve Julia, une ancienne compagne en train de mourir, frappée comme tant d'autres par épidémies et radiations sur une Terre où l'Afrique et l'Australie ont déjà été rayés de la carte. Puis, d'agent infiltré évoluant au sein d'une bourgeoisie parfois aveugle aux errements de la civilisation, Tom se transforme en mercenaire sans âme membre d'une troupe hétéroclite composée de survivants des forces spéciales de l'Onu et de l'Otan, d'un détachement d'Ouzbeks, de quelques Sikhs, de pas mal de bandits ramassés en chemin et d'une majorité de cavaliers cosaques placés sous le commandement du colonel Savitsky et en route vers Kaboul, qui donne son titre à  la nouvelle, alors que des frappes nucléaires venaient de détruire Lahor et Amristar. Spectateur désabusé d'une débandade généralisée, Tom ne participe par aux massacres perpétrés sur des prisonniers ou des civils, à la torture systématique ou au viol collectif, même s'il tue parfois quelqu'un par inadvertance. Non, il se contente de revivre quelques heures d'un amour sans lendemain avec la séduisante Emmy dans les caves d'une capitale afghane devenue une pâle copie d'Hiroshima. Incursion au Cambodge, le cinquième récit du recueil porte en lui les accents d'un Apocalypse Now revisité avec un Stavisky devenu commandant de division et son lot d'embuscades, de destructions de villages, de charges folles à travers les rizières, tandis que des champignons rougeoyants montent dangereusement sur l'horizon. C'est donc sans surprise que dans le dernier texte du livre, Le retour d'Odysseus,  on épilogue sur un Tom mourant qui, tel l'Ulysse de l'Odyssée, retourne dans son Odessa Natale frappée  par la quarantaine occasionnée par le terrible virus VB, afin de rencontrer une dernière fois sa famille et de s'embarquer sur une vieux Léviathan des mers bourré de munitions avec des compagnons condamnés comme lui au sein d'une pathétique flotte des Vétérans. Rien donc de vraiment réjouissant dans ce livre qui résonne comme une sorte de testament écrit sous la plume d'un auteur qui avoue son impuissance face aux dérives de notre propre quotidien dans des phrases comme : "Nous sommes tous fautifs. Pas seulement Trump, Poutine ou Kim. Nous sommes entrés en somnambule dans une guerre qui a commencé furtivement et s'est achevée dans le silence." Mais, comme toujours, nous sommes pris dans le canevas de la narration mordante et intimiste d'un écrivain qui nous invite à partager toute les désillusions de son nouvel anti-héros qui, tel le Elric melnibonéen, marche sans conviction vers sa mort annoncée, le tout mis en lumière par les images géantes et captivantes de l'artiste Miles Hyman donnant à ce livre une sorte de développement cinématographique aidant le lecteur à s'approprier l'histoire comme un téléspectateur rivé aux épisodes de sa meilleure série dans  un récit convoquant tous les fantasmes moorcockiens parcourus par les soubresauts d'un féminisme n'arrivant pas à se déterminer, des fanatismes religieux, de la propension humaine à scier la branche sur laquelle il est assis et de sa mauvaise foi proverbiale concernant son implication directe, même quand il s'agit du propre suicide d'une espèce humaine si irresponsable qu'il mérité bien d'y appartenir.