♦ L’inclinaison
♦
(Roman) Science-Fiction
/ Voyages Temporels
AUTEUR : Christopher PRIEST (Angleterre)
EDITEUR : Gallimard-Folio
SF 611, 8/2018 — 498 p., 8.50 €
TO : The gradual, Gollancz, 2016
TRADUCTION : Jacques Collin
COUVERTURE : Aurélien
Police
Précédente publication : Denoël-Lunes
d’Encre, 10/2016 — 398 p., 23 € — Couverture de Aurélien Police
→ Avec ce roman, préalablement publié aux
éditions Lunes d’Encre et repris aujourd'hui en poche chez Folio SF, l’auteur britannique Christopher Priest
revient sur son univers de prédilection de l’Archipel du Rêve au sein duquel il
nous avait déjà proposé de multiples voyages à travers ses précédents romans
tels que Les Insulaires, L’Archipel du
Rêve, L’Adjacent ou La fontaine pétrifiante.
Brodant astucieusement son intrigue dans le canevas des paradoxes temporels, il
propulse son héros, Alesandro Sussken, musicien célèbre évoluant au sein d’une
dictature dont la junte au pouvoir l’incite à entamer une tournée organisée par
son omniprésent promoteur Ders Axxon qui le conduirait dans le fameux Archipel
composé d’îles où il avait toujours rêvé d’exprimer sa musique et, en
particulier, sur Temmil, berceau de And Ante, guitariste de rock qu’Alesandro
accusé d’avoir plagié son œuvre. Approchant la cinquantaine, le brillant
musicien a trouvé son inspiration très jeune dans l’observation de ces îles, à
une époque où les bombes pleuvaient autour de lui, tandis que s’opposaient l’Alliance
de Faiandland et la république de Glaund où il était né. Puis le conflit s’est
déplacé vers la partie méridionale de l’Archipel, vers le continent de
Sudmaieure, un sud où a disparu son frère
Jacq, évaporé sur le front, et
qu’il ne désespère pas de retrouver même s’il est trop tard pour ses parents
anéantis par la perte de ce fils aîné. Cependant son voyage, plus que sa quête
d’un proche perdu et que le moyen d’exprimer tout son talent, va le confronter
à l’intimité de son être par sa rencontre avec le graduel, cet étrange
phénomène spatio-temporel qui baigne ses îles pas comme les autres. En effet,
d’une île à l’autre, le temps ne s’écoule pas de la même manière. Tantôt en
avance, tantôt en retard sur le temps absolu, ces tranches divergentes de
temporalités provoquent pour Alesandro une altération du temps, positive ou
négative, selon les directions qu’il a emprunté et les durées de ses séjours
sur les îles qu’il a abordé. D’où le terme d’inclinaison, qui caractérise à la
fois la position du voyageur par rapport à l’axe temporel commun, mais aussi
celle de son esprit qui s’ouvre enfin à la réelle connaissance du monde qui
l’entoure. Car, au retour de son périple musical, Alesandro prendra conscience
de la tyrannie et la censure qui gangrène l’univers de Glaund où il a grandit.
Véritablement transfiguré par son voyage, il doit faire face à la mort de ses
parents et au départ de son épouse, mais, paradoxalement, il se sent enfin véritablement vivant et
décidé à agir sur le monde qui l’entoure en dépit des risques qui pèse sur sa
propre liberté. Et pour s’extirper du carcan où voudrait l’enfermer la
dictature qui l’opprime, il doit à nouveau fuir dans ces îles si tentatrices et
dangereuses à la fois. A travers le personnage d’Alesandro, Christopher Priest
nous convie à une sort de vagabondage mystique, sous forme d’introspection
intérieure, d’un être en perte de repères et qui ne parvient pas à se
raccrocher à l’ambivalente de chacune des îles visitées, dont le pendant
technologique, culturel et sociologique clairement détaillé, est repoussé en
toile de fond par la perpétuelle atmosphère d’étrangeté qui imprègne ses lieux
soumis aux aléa du gradiant temporel provoqué par cette sorte de vortex qui
enveloppe l’archipel, créant à chaque déplacement des distorsions par rapport au
temps réel des principaux belligérants. Ainsi, Alesandro, tel Alan Corday, le
spationaute de Retour à demain de Ron
Hubbard (il a quand même fait quelques petits romans de SF avant de trouver une
piteuse gloire à travers sa dianétique racoleuse) va, à son retour des îles,
s’apercevoir que le temps a évolué différemment pour son entourage. Négligeant
l’approche de l’explication scientifique, Christopher Priest joue sur ce
paradoxe afin de proposer au lecteur une réflexion à la fois sur l’art, sur le
temps, mais aussi sur le devenir des êtres et leur profonde implication dans
l’univers qui les entoure. Auteur de ce que l’on a appelé le courant new wave
de la SF britannique, que les anciens passionnés de littérature imaginaire ont
pu notamment découvrir en France dans la collection Dimensions SF de l’éditeur
Calmann-Lévy aux côtés de romanciers tels que Ian Watson, Samuel Delany,
G J. Ballard ou Michael G. Coney, Christopher Priest exprime une fois de
plus à travers cette histoire sa propre petite musique éloignée des chemins de
la SF traditionnelle, plus réaliste que scientifique, plus poétique
qu’aventureuse, et chargé d’un mystère qui ne se dévoile jamais réellement,
tout en proposant une approche originale de la thématique des voyages
temporels, comme a pus déjà le faire, par exemple, Jack Finney dans son célèbre
Voyage de Simon Morley.
Autre
couverture :