♦ Dans
la toile du temps ♦
(Roman) Hard
Science
AUTEUR : Adrian TCHAIKOVSKY (Angleterre)
EDITEUR : Gallimard-Folio
SF 641 — 687 p., 9.50 €
TO : Ha’penny, 2007
TRADUCTION : Henri-Luc
Planchat
COUVERTURE : Denoël--Lunes
d’Encre, 3/2018 — 578 p., 24 €/Couverture de Gaelle Marco
→ Arachnophobes attention, le roman que vous
avez entre les mains fait la part belle à ces gentilles petites bestioles qui
partagent avec nous notre bonne vieille Terre. Et surtout ne croyez pas vous en
débarrasser avec un simple insecticide ou un bon coup de balais, car celles dont
vous nous parler Adrian Tchaikovsky ont atteint un niveau de civilisation qui,
même si nous le comprenons pas, nous dépasse largement et nous dépassera
sûrement dans ce lointain futur qui sert de décor à cette passionnante histoire.
Tout commence lorsque l’Humanité, consciente de l’avenir étriqué que lui
réserve notre planète bleue, et après avoir colonisé la proche banlieue que
constitue notre système solaire, se lance dans la colonisation des vastes
espaces interstellaires avec pour crédo le maître mot terraformation. C’est
d’ailleurs cette tache essentielle que vient de terminer le Brin 2 (hommage à
l’auteur de SF David Brin), vaisseau scientifique humain, sur un monde
extrasolaire situé à des années-lumière de la Terre. Le docteur Avrana Kern, à
la tête du projet, s’apprête à passer à l’étape suivante du processus, soit le
largage sur la planète d’un millier de singes et d’un nanovirus destiné à leur
faire subir une évolution accélérée jusqu’à ce qu’ils soient en capacité de
comprendre les messages mathématiques envoyés par un satellite laissé en orbite
autour de la planète et qu’ils puissent y répondre. Ce stade ultime atteint ils
seraient en mesure d’accueillir comme des dieux les colons terriens venus
récolter le fruit de leur fabuleuse expérience. Mais, alors que le Brin
s’apprête à repartir pour ensemencer d’autres mondes l’imprévisible se produit
sous la forme d’un révolutionnaire du NUN, entendez les Non Ultra Natura, qui
prône par la violence un retour radical à la nature. Ce dernier réussit à détruire
le Brin 2 et à faire griller les singes
cobayes. Seule Avrana Kern parvient à s’échapper en se réfugiant dans le module
orbital autonome placé autour de l’astre terraformé où, faisant désormais corps
avec les composantes électroniques de l’engin, ne sachant pas que ses précieux
primates ont subi un sort funeste, elle entre dans une longue période de
cryogénisation. Or, sur le monde en question, baptisé désormais la planète de
Kern, si l’ensemble des vertébrés ont été immunisés contre les effets du nanovirus,
ce n’est pas le cas des invertébrées, passagers clandestins involontaires du
Brin 2. Dés lors, profitant de l’effet élévation contrôlée que diffuse ce
dernier, va se développer une civilisation d’où émerge, au fond de l’océan, des
crustacés représentés par des stomatopodes marins, sortes de crevettes
endémiques, et sur terre des insectoïdes, fourmis et surtout araignées en tête.
Ces dernières, et notamment l’espèce Portia Labatia, particulièrement réceptive
à la diffusion du nanovirus, vont transformer leur individualisme inné en
conscience sociale, puis en redoutable intelligence, et ensuite véritable
technologie approprié à leur propre espèce qui va leur permettre de régner sur
la plus grande partie de la planète. Et pendant ce temps les humains, me
direz-vous… Et bien, comme prévue, à travers le conflit entre les progressistes
et les membres du NUN, ils ont fini par s’autodétruire après avoir rendu la
Terre inhabitable. Seul vestige de l’Humanité agonisante, le Gilgamesh, une
gigantesque arche stellaire peuplée de près de 500 000 individus en
animation suspendue, qui s’approche désormais du monde Kern dans le but de
recommencer à zéro sur cette nouvelle terre promise. A sin bord, Holsten Mason,
l’historien linguiste, Isa Lain, la chef-ingénieur, et Vries Guyen, le commandant du Gilgamesh, ont
été réveillé pour préparer les bases de cette arrivée en fanfare. Mais voilà
l’entité Avra Kern n’entends pas que des éléments extérieurs viennent troubler
l’expérience menée sur ses précieux primates et à placé la planète en
quarantaine. C’est ainsi que les humains du Gilgamesh sont repoussés manu
militari et priés d’aller polluer des astres bien plus lointains. A partir de cet
instant, Adrian Tchaikovsky va nous inviter à suivre par l’intermédiaire de
chapitres alternant les points de vue, les trajectoires destinées à se
rejoindre des araignées en perpétuelle mutation et des humains en perpétuels
conflits. En effet, sur le monde de Kern, après avoir vaincu les fourmis
qu’elles ont transformé en sortes de robots dévolus à leur service, les arthropodes
violemment matriarcales (les mâles sont souvent dévorés après l’accouplement)
évoluent à vitesse grand V grâce à la transmission de transferts d’expériences,
les Savoirs, à travers des lignées qui
se renouvellent avec des noms distinctifs, Portia, Fabian, Viola, qui
permettent aux lecteurs d’entrer plus facilement en empathie avec des êtres
dont pourtant tout nous sépare. Tout au contraire, chez les humains, nous avons
droit à toute la panoplie de dissension et luttes intestines qui minent une
société fermée dont les membres se confrontent au fil des réanimations
successives qui émaillent leur aller-retour dans l’espace, car le Gilgamesh
n’envisage en fait qu’une option : retourner envahir le monde de Kern. Nul
doute alors que les araignées ne seront pas du même avis et gare à la
confrontation finale. Faisant parti des ultimes choix de Gilles Dumay avant
qu’il ne quitte la direction de la collection Lunes d’Encre, ce roman prouve
une fois de plus son talent indéniable pour débusquer de véritables pépites
littéraires. Car Dans la toile du temps
est réellement un récit passionnant. Tant par le soin que son auteur a pris à
décrire la densité émotionnelle qui anime ses personnages, autant humains
qu’arachnides, que par l’extraordinaire description de la civilisation
insectoïde qui nous est proposée. Bien que celle-ci soit basée sur des concepts
totalement différents des nôtres, la vue et le toucher étant par exemple
remplacé par le toucher et le chimie des phéromones, tandis que nos chères lois
de la physique font place à celles de la chimie et de la biotechnologie, elle
nous captive page après page au gré de mutations anatomiques, de luttes contre
d’autres insectes, de conflits internes sur fond de querelles religieuses où
l’entité Kern fait office de nouvelle déesse dont cependant les araignées ne
tarderont pas à cerner les limites quand elles seront en mesure d’entrer en
contact avec elle. Rarement un contact extraterrestre a été si habilement
décrit nous le rendant parfaitement compréhensible et envisageable. Entomologiste
de formation, qui a déjà utilisé le monde des insectes comme source
d’inspiration, comme dans son cycle de fantasy de Shadows of the Apt, Adrian
Tchaikovsky aborde des thématiques hard-science (arches stellaires,
contre-utopie, intelligence artificielle, post-apocalypse) où l’on retrouve les
influences d’auteurs majeurs du genre, David Brin, Stephen Baxter, Peter
Hamilton, etc…, en supportant toujours avec brio la comparaison et nous
entraîne avec lui dans un univers inversé où l’humain, loin de jouir du beau
rôle, fait désormais office d’agresseur. Une œuvre qui, sans nul doute, fera
date dans l’histoire de la SF contemporaine
Autre
couverture :