jeudi 12 décembre 2019




Dans la toile du temps
(Roman) Hard Science
AUTEUR : Adrian TCHAIKOVSKY (Angleterre)
EDITEUR : Gallimard-Folio SF 641 — 687 p., 9.50 €
TO : Ha’penny, 2007
TRADUCTION : Henri-Luc Planchat
COUVERTURE : Denoël--Lunes d’Encre, 3/2018 — 578 p., 24 €/Couverture de Gaelle Marco
→ Arachnophobes attention, le roman que vous avez entre les mains fait la part belle à ces gentilles petites bestioles qui partagent avec nous notre bonne vieille Terre. Et surtout ne croyez pas vous en débarrasser avec un simple insecticide ou un bon coup de balais, car celles dont vous nous parler Adrian Tchaikovsky ont atteint un niveau de civilisation qui, même si nous le comprenons pas, nous dépasse largement et nous dépassera sûrement dans ce lointain futur qui sert de décor à cette passionnante histoire. Tout commence lorsque l’Humanité, consciente de l’avenir étriqué que lui réserve notre planète bleue, et après avoir colonisé la proche banlieue que constitue notre système solaire, se lance dans la colonisation des vastes espaces interstellaires avec pour crédo le maître mot terraformation. C’est d’ailleurs cette tache essentielle que vient de terminer le Brin 2 (hommage à l’auteur de SF David Brin), vaisseau scientifique humain, sur un monde extrasolaire situé à des années-lumière de la Terre. Le docteur Avrana Kern, à la tête du projet, s’apprête à passer à l’étape suivante du processus, soit le largage sur la planète d’un millier de singes et d’un nanovirus destiné à leur faire subir une évolution accélérée jusqu’à ce qu’ils soient en capacité de comprendre les messages mathématiques envoyés par un satellite laissé en orbite autour de la planète et qu’ils puissent y répondre. Ce stade ultime atteint ils seraient en mesure d’accueillir comme des dieux les colons terriens venus récolter le fruit de leur fabuleuse expérience. Mais, alors que le Brin s’apprête à repartir pour ensemencer d’autres mondes l’imprévisible se produit sous la forme d’un révolutionnaire du NUN, entendez les Non Ultra Natura, qui prône par la violence un retour radical à la nature. Ce dernier réussit à détruire le Brin 2 et  à faire griller les singes cobayes. Seule Avrana Kern parvient à s’échapper en se réfugiant dans le module orbital autonome placé autour de l’astre terraformé où, faisant désormais corps avec les composantes électroniques de l’engin, ne sachant pas que ses précieux primates ont subi un sort funeste, elle entre dans une longue période de cryogénisation. Or, sur le monde en question, baptisé désormais la planète de Kern, si l’ensemble des vertébrés ont été immunisés contre les effets du nanovirus, ce n’est pas le cas des invertébrées, passagers clandestins involontaires du Brin 2. Dés lors, profitant de l’effet élévation contrôlée que diffuse ce dernier, va se développer une civilisation d’où émerge, au fond de l’océan, des crustacés représentés par des stomatopodes marins, sortes de crevettes endémiques, et sur terre des insectoïdes, fourmis et surtout araignées en tête. Ces dernières, et notamment l’espèce Portia Labatia, particulièrement réceptive à la diffusion du nanovirus, vont transformer leur individualisme inné en conscience sociale, puis en redoutable intelligence, et ensuite véritable technologie approprié à leur propre espèce qui va leur permettre de régner sur la plus grande partie de la planète. Et pendant ce temps les humains, me direz-vous… Et bien, comme prévue, à travers le conflit entre les progressistes et les membres du NUN, ils ont fini par s’autodétruire après avoir rendu la Terre inhabitable. Seul vestige de l’Humanité agonisante, le Gilgamesh, une gigantesque arche stellaire peuplée de près de 500 000 individus en animation suspendue, qui s’approche désormais du monde Kern dans le but de recommencer à zéro sur cette nouvelle terre promise. A sin bord, Holsten Mason, l’historien linguiste, Isa Lain, la chef-ingénieur, et  Vries Guyen, le commandant du Gilgamesh, ont été réveillé pour préparer les bases de cette arrivée en fanfare. Mais voilà l’entité Avra Kern n’entends pas que des éléments extérieurs viennent troubler l’expérience menée sur ses précieux primates et à placé la planète en quarantaine. C’est ainsi que les humains du Gilgamesh sont repoussés manu militari et priés d’aller polluer des astres bien plus lointains. A partir de cet instant, Adrian Tchaikovsky va nous inviter à suivre par l’intermédiaire de chapitres alternant les points de vue, les trajectoires destinées à se rejoindre des araignées en perpétuelle mutation et des humains en perpétuels conflits. En effet, sur le monde de Kern, après avoir vaincu les fourmis qu’elles ont transformé en sortes de robots dévolus à leur service, les arthropodes violemment matriarcales (les mâles sont souvent dévorés après l’accouplement) évoluent à vitesse grand V grâce à la transmission de transferts d’expériences, les Savoirs,  à travers des lignées qui se renouvellent avec des noms distinctifs, Portia, Fabian, Viola, qui permettent aux lecteurs d’entrer plus facilement en empathie avec des êtres dont pourtant tout nous sépare. Tout au contraire, chez les humains, nous avons droit à toute la panoplie de dissension et luttes intestines qui minent une société fermée dont les membres se confrontent au fil des réanimations successives qui émaillent leur aller-retour dans l’espace, car le Gilgamesh n’envisage en fait qu’une option : retourner envahir le monde de Kern. Nul doute alors que les araignées ne seront pas du même avis et gare à la confrontation finale. Faisant parti des ultimes choix de Gilles Dumay avant qu’il ne quitte la direction de la collection Lunes d’Encre, ce roman prouve une fois de plus son talent indéniable pour débusquer de véritables pépites littéraires. Car Dans la toile du temps est réellement un récit passionnant. Tant par le soin que son auteur a pris à décrire la densité émotionnelle qui anime ses personnages, autant humains qu’arachnides, que par l’extraordinaire description de la civilisation insectoïde qui nous est proposée. Bien que celle-ci soit basée sur des concepts totalement différents des nôtres, la vue et le toucher étant par exemple remplacé par le toucher et le chimie des phéromones, tandis que nos chères lois de la physique font place à celles de la chimie et de la biotechnologie, elle nous captive page après page au gré de mutations anatomiques, de luttes contre d’autres insectes, de conflits internes sur fond de querelles religieuses où l’entité Kern fait office de nouvelle déesse dont cependant les araignées ne tarderont pas à cerner les limites quand elles seront en mesure d’entrer en contact avec elle. Rarement un contact extraterrestre a été si habilement décrit nous le rendant parfaitement compréhensible et envisageable. Entomologiste de formation, qui a déjà utilisé le monde des insectes comme source d’inspiration, comme dans son cycle de fantasy de Shadows of the Apt,  Adrian Tchaikovsky aborde des thématiques hard-science (arches stellaires, contre-utopie, intelligence artificielle, post-apocalypse) où l’on retrouve les influences d’auteurs majeurs du genre, David Brin, Stephen Baxter, Peter Hamilton, etc…, en supportant toujours avec brio la comparaison et nous entraîne avec lui dans un univers inversé où l’humain, loin de jouir du beau rôle, fait désormais office d’agresseur. Une œuvre qui, sans nul doute, fera date dans l’histoire de la SF contemporaine
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Les griffes et les crocs (Roman) Civilisation Dragon
AUTEUR : Jo WALTON (Gb)
EDITEUR : Gallimard-Folio SF 643, 9/2019 — 480 p., 8.40 €
TO : Tooth and claw, Tor Books, 2003
TRADUCTION : Florence Dolisi
COUVERTURE : Alex Tuis
Précédente publication : Denoël-Lunes d’Encre, 8/2017 — 412 p., 21.90 €/Couverture de Aurélien Police
→ Ce nouveau roman de l’auteur galloise du cycle de Morwenna débute par l’agonie de Bon Agornin, un énorme dragon, assisté dans son trépas par Penn, un prêtre dragon, qui s’empresse de lui dévorer les yeux dés qu’il a recueilli ses dernières paroles. Un entrée en matière plutôt déroutante pour un lecteur lambda qui ne sait pas encore qu’il va vivre dans prés de 400 pages au sein d’une société de dragons très anthropomorphe. Celle-ci se caractérise par deux points principaux. D’abord, son obédience victorienne car, pour écrire se lire, Jo Walton aurait pris pour modèle le récit du célèbre auteur britannique Anthony Trollope, Framley Parsonnage. Dés lors on ne s’étonnera guère de voir nos chers dragons évoluer selon un strict code de convenance débouchant sur des catégories sociales bien définies où les nobles occupent le haut du pavé. Gros et imposants, ils peuvent voler, sont à la tête d’un fief et de richesses considérables en rapport avec leur statut social (Illustre, Respecté, Digne Eminent) et dominent tout un peuple de serfs aux ailes attachées. Bien entendu l’ensemble de ce monde est avant tout patriarcal et les femmes, qui ne peuvent tomber amoureuses qu’une fois, émoi trahi par le subit rosissement de leurs écailles, ne pensent qu’à trouver l’élu de leur cœur qui leur assurera protection et longue descendance. Cette dernière d’ailleurs nous permet de rebondir sur l’autre originalité de ce roman : nos dragons sont des cannibales. En effet, à la mort de Bon Agornin, sa famille s’est empressée de se partager sa carcasse, car les dragons ne peuvent grossir, et dés lors acquérir plus de puissance, qu’en mangeant de la viande d’autres dragons. Un repas de fête qui, comme de juste, est réservé aux nobles, ne dédaignant pas, à l’occasion, à ingurgiter leurs propres enfants si ceux-ci présentent des faiblesses qui pourraient nuire à l’épanouissement de leur lignée. Ces agapes ne sont pas toutefois sans conséquences, car, frustrés par la part de roi que l’Illustre Daverak, l’époux de Beren, l’une des filles de Bon Agornin a prélevé dans la dépouille du défunt, ses autres enfants, l’ambitieux Avan en tête, lui intentent un procès pour spoliation de bien. La suite du roman va se construire à cheval sur le déroulement de cette procédure judiciaire et sur les péripéties amoureuses de Haner et Selendra, sœurs de couvées et autres filles de Bon Agornin. Au fil de demandes en mariages successives, de séquestrations et de manigances en tous genres, nous allons être invités à partager les préoccupations, souvent bien terre à terre, d’une société refermée sur elle-même qui permet à Jo Walton de parfaire sa critique de moeurs victoriennes empreintes de sauvagerie et de cruauté sous des atours poudrés et des apparences de bonnes manières. Le lecteur français friand de romantisme anglais y retrouvera des accents à la Jane Austen, plus connue que Trollope de ce côté-ci de la Manche, et ne pourra que se plonger avec une surprise mêlée d’une certaine admiration dans cette façon souvent drôle et originale d’aborder ce qui fut une période clé de la vie de nos chers voisins britanniques sans omettre les rapports avec le religieux et l’importance du joug de la servitude, certains fidèles valets allant jusqu’à finir dans l’estomac de leurs maîtres. Un roman surfant avec brio sur le mélange des genres, sans oublier une nette connotation féministe nous présentant des dragonnelles qui compensent leur absence de griffes, avec le déficit physique que cela représente pour affronter les mâles, par la présence de mains qui leurs permettent d’écrire et ainsi de se prévaloir d’une indéniable supériorité intellectuelle sur leurs pères, leurs frères et leurs époux. Un livre donc à découvrir pour tous ceux qui ont déjà apprécié le talent de cet écrivain, auteur notamment de la trilogie uchronique du Subtil changement, également parue chez Folio SF.
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Les Seigneurs de Bohen
(Roman) Fantasy
AUTEUR : Estelle FAYE (France)
EDITEUR : GALLIMARD-Folio SF 637, 5/2019 — 727 p., 9.50 €
COUVERTURE : Pierre Droal
Précédente publication : Editions Critic, 2/2017 — 636 p., 25 €/Couverture de Marc Simonetti
→ C'est avec un réel plaisir que j'ai accueilli la réédition en poche de ce volumineux roman d'Estelle Faye, auteur française dont nous avons déjà eu l'occasion de lire chez Folio la remarquable trilogie uchronique de La voix des oracles destinée à un public plus adolescent. Et, pour une fois, nous somme enfin confronté à un one shot (même si la fin reste néanmoins ouverte à une suite que nous avons découvert en 2019 avec Les révoltés de Bohen aux éditions Critic) qui ne nous condamne pas à des séries à n'en plus finir dont souvent les volumes perdent peu à peu consistance au fil de leurs publications. Qui plus est, l'auteure a ancré son intrigue au sein d'un univers original qui, une fois n'est pas coutume, puise son inspiration dans une ambiance slave trahie par des termes tels que margrave, byline, vodianoï… pour n'en citer que quelques uns. On y découvre le redoutable empire de Bohen qui a bâti sa puissance sur l'extraction du minerai de lirium, un métal précieux que certains appelaient le sang blanc du monde, arraché aux mines de Katow-Ser, véritable enfer placé sous l'autorité des Sœurs de l'Epée, surveillés par les gardes-chiourmes les plus cruels de l'Empire, et constamment sous la menace des attaques de goules vestiges de la magie démoniaque de l'ancienne civilisation des Wurms. C'est au sein de cet univers riche en contraste dont Estelle Faye esquisse peu à peu la carte au fur et à mesure du déroulement du récit, que vont se punaiser les différentes intrigues centrées sur plusieurs protagonistes dont l'histoire et les points de vue alternent au fil des chapitres entrecoupés d'interlude servant à développer les divers soubresauts qui agitent le corps de cet Empire tentaculaire. D'abord Sainte-Etoile, jeune moine ayant échappé à l'incendie de son monastère pour être recueilli par une sorcière qui lui a implanté dans la tête Morde, une créature surnaturelle avec qui il dialogue désormais au fil de ses pérégrinations. Devenu escrimeur hors pair ce dernier est  poursuivi par les exactions de la secte qu'il a jadis créé et dont la fin apocalyptique lui a valu de nombreuses inimitiés. Puis Wens, jeune clerc de notaire condamnée pour hérésie et mise en danger de l'Empire après avoir engrossé la princesse Othylie qui s'était juste servie de lui pour concevoir son enfant. Wen amené avec sa sœur aveugle Sélène dans les sinistres mines de Katow-Ser où il était destiné à rapidement mourir avant que son destin l'entraîne dans les bras de Sorenz ab Abahain, chef de mercenaires adulés par ses hommes et redouté par l'Empire car il possédait une sorte de monopole sur les canons et les armes à feu rendant sa troupe, d'autant plus dangereuse. Enfin Maëve, la jeune morguenne, entendez magicienne, issue du port des Havres, qui mésestime ses pouvoirs basés sur la manipulation du sel et qui entretien un lien étrange avec l'océan et les terribles Vaisseaux Noirs, flottes fantomatiques dont les flux et reflux viennent semer la désolation le long des côtes de l'Empire. C'est à travers les parcours entrecroisés de ces individus pourtant bien éloignés du pouvoir dominant que va peu à peu s'étendre sous nos yeux le déclin d'un Empire qui a négligé les fondamentaux en pensant qu'il était destiné à perdurer contre vents et marées. Loin des envolées épiques que nous promet un quatrième de couverture mettant l'accent sur l'accent dark fantasy du roman, nous allons plutôt nous laisser glisser dans les pas de personnages tourmentés autant dans leurs trajectoires de vie que dans leurs attirances sexuelles où l'homosexualité est partie prenante qui nous font partager l'intimité de leurs aspirations et de leurs désespérances dans une monde fragilisé par les bouleversements d'une révolution grandissante et parcouru par la persistance de la magie, qu'elle soit issue de l'Ombre en souvenir d'une ancienne époque, ou le propre de fascinants changeformes, sans oublier celle des Vaisseaux Noirs qui hantent les étendues marines. Des vies narrées en trompe l'œil sur la toile d'un monde en effervescence d'où émergent des lieux incomparables, comme la cité de Bo-Chai perdue au cœur d'une jungle où les fantômes se mélangent aux vivants, et la mortifère Katow-Ser, poumon gangréné d'un Empire qui ne veut pas croire à sa mort prochaine. Des vies que nous découvriront en narration alternée dans la droite ligne du désormais célèbre Game of Thrones et auxquelles l'auteure à su nous attacher par le biais d'une introspection de tous les instants sans cependant véritablement nuire à l'avancée du récit, nous conduisant inexorablement dans le sillage des nouveaux Seigneurs de Bohen.
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jeudi 22 août 2019


Pierre-de-vie
(Roman) Fantasy
AUTEUR : Jo WALTON (Grande-Bretagne)
EDITEUR : DENOËL-Lunes d'Encre, 5/2019 — 329 p., 21.90 €
TO : Lifelode, Framingham, Massassuchets, 2009
TRADUCTION : Florence Dolisi
COUVERTURE : Aurélien Police
→ Lire un roman de Jo Walton s'est comme descendre les eaux calmes du Mississipi accompagné de Tom Sawyer en prenant le temps de s'arrêter pour flâner sur les berges et de s'intéresser à l'insignifiance des choses. Le temps, justement, dans ce nouveau roman que nous propose de découvrir les éditions Denoël et leur remarquable collection Lunes d'Encre est une entité protéiforme qui s'écoule différemment selon l'endroit où l'on se trouve, plus rapidement quand on se dirige vers l'Est, plus doucement quand on va vers l'Ouest, et cela, bien entendu, entraînera une imprégnation différente de la réalité selon l'endroit où résident les personnages du livre, les chapitres des événements s'imbriquant les uns dans les autres d'une manière non chronologique, comme d'ailleurs la narration de l'auteur qui parvient cependant, remarquable réussite, à ne pas égarer ses lecteurs dans les méandres de son imaginaire. Une narration qui se focalise sur un point nodal : le petit village d'Applekirk et son manoir et qui se trouve dans les Marches, territoire à mi-chemin entre l'Est patrie des dieux avec qui les humains communiquent grâce à la magie, et l'Ouest, déserté par les divinités et soumis à un quotidien routinier qui fait parfois ressembler ses habitants à d'imperturbables statues. Ne cherchez pas de fougueuses batailles et de déchirements à la Game of Thrones dans ce roman, où tout est placé sous le domaine du subtil et des interrelations entre les êtres. Focalisée sur l'existence médiévale que mènent les villageois d'Applekirk, l'intrigue nous est essentiellement racontée par Taveth, la compagne de Ferrand, le seigneur d'Applekirk, en charge de la gestion du domaine, préoccupation dont elle à fait sa "pierre de vie", entendez plus ou moins la raison d'être de son existence et de son épanouissement. Aidée par sa yeya, source magique d'où l'on peut tirer des pouvoirs particuliers (celui de voir les ombres des personnes à tous les âges de leur vie pour Taveth), elle va voir la tranquillité ambiante des lieux mise à mal par l'arrivé de trois personnages autour desquels va se concentrer le fil de l'histoire. D'abord le beau Jankin, un érudit voyageur venu de l'Est à la recherche des traces d'une antique civilisation dont les vestiges resurgissent aux quatre coins du village et qui sème le trouble auprès de la communauté féminine des lieux sans que cela ne cause vraiment de problème dans une société plutôt adepte de l'amour libre à la mode hippie où les couples sont libres de vagabonder au gré de leurs envies. Mais surtout Hanethe, l'ancienne maîtresse d'Applekirk, partie à l'Est pour appréhender la magie et qui revient âgée d'une cinquantaine année alors que, du fait de l'écoulement temporel différencié, une génération s'est écoulée dans son village et qu'elle est devenue l'aïeule de Ferrand. D'autant plus que cette dernière est poursuivie par la vindicte de d'Agdisdis, la déesse du mariage, qui a envoyé à ses trousses le troisième élément de l'intrigue, la prêtresse Dolkis qui exige des villageois qu'ils leur livrent la prétendue sacrilège. Abordant des thèmes aussi divers et contemporains que l'éclatement de la famille ou la place désormais centrale des femmes dans la société, Jo  Walton nous propose une fantasy campagnarde ou la liberté de chacun exige avant tout le respect de l'autre et continue de nous délivrer une œuvre atypique que nous avons déjà eu l'immense plaisir de découvrir au catalogue des éditions Denoël grâce à la trilogie du Subtil changement, uchronie décrivant une Angleterre nazie, le fascinant Morwenna, narrant l'apprentissage d'une jeune magicienne (Hugo 2012), l'improbable Mes vrais enfants retraçant les deux vie de Patricia Cowan, et la fabuleuses civilisation dragons de Les griffes et les crocs. A noter que Pierre-de-vie a obtenu le Mythopoeic 2010, un prix décerné exclusivement par des auteurs de Fantasy.

dimanche 12 mai 2019


 Os de lune
(Roman) Monde Parallèle
AUTEUR : Jonathan CARROLL (Usa)
EDITEUR : GALLIMARD-Folio SF 635, 4/2019 — 272 p., 7.90 €
TO : Bones on the moon, Arbor House, 1987
TRADUCTION : Danielle Michel-Chich & Nathalie Duport-Serval
COUVERTURE : Gérard Dubois
Précédentes publications :
● Albin Michel-Blême, 2/1990 — 264 p., 85 Frs — Traduction de Danielle Miche-Chich — Couverture de Jean-Louis Chabry
● Pocket-Terreur 9230, 10/2001 — 288 p., 7.50 €
● Aux Forges de Vulcain, 5/2017 — 4/2017 — 240 p., 19 € — Traduction de Danielle Miche-Chich & Nathalie Duport-Serval — Couverture de Elena Vieillard
Ce splendide roman, traduit pour la 1ère fois dans la collection Blêmes des éd. Albin Michel en 1990, nous invite à partager les rêves tourmentés de la jeune Cullen-James. A peine sortie d'une cruelle désillusion sentimentale qui s'est conclue par un avortement, la jeune femme a  retrouvé une vie tranquille  en épousant Dany, sportif accompli et ancien camarade d'université, qui lui donne une petite fille. Cependant, Cullen commence à être la victime d’une série de cauchemars récurrents qui l’entraînent sur l’île de Rondua. Un monde fantastique et extravaguant peuplé d'animaux géants qui parlent italien dont peu à peu elle saisira le sens intimement lié à un profond traumatisme de son passé. Dans cet univers aux gigantesques pyramides poussant sur une plaine peuplée de machines arrêtées elle doit veiller, aidée du chien Mr Tracy, sur Pepsi, l’enfant qu’elle n’a pas eu et qui pourtant l'appelle maman.  Celui-ci, afin d’empêcher la contagion du Mal est chargé de rassembler cinq os de lune semés sur toute l’étendue de Rondua. Toutefois, la possession de ces fameux os de lune n'est pas sans risques, car elle confère un pouvoir déterminant sur le monde des rêves. Poursuivie par ses rêves répétitifs  à  la fois fantastiques et cauchemardesques, Cullen décide de les consigner par écrit en une sorte de mini-feuilleton. Tandis que son voisin, Alan Williams, qui a tué sa mère et sa sœur dans un moment de démence, demande à correspondre avec elle du fond de sa cellule, elle doit également composer avec Weber Greston, un cinéaste dont elle a éconduit les avances avec un rayon lumineux jailli de sa main et qui, repenti, revient à la charge, tout en continuant ses escapades sur Rondua où avec la louve Félina elle s'implique de plus en plus dans la quête des Os de lune de Pepsi. Voyant son quotidien de plus en plus envahi par l'univers onirique, Cullen se laisse entraîner dans ce récit sans dessus-dessous dont le background n'est pas sans rappeler l'Alice au pays des Merveilles d'un certains Lewis…Carroll. De ce livre où les animaux parlent et où le danger rôde, un monde ou les lapins font surgir des magiciens de leurs chapeaux, se dégage un fantastique glacial et terrorisant qui imprègne le lecteur telle une glue tenace dont il aura bien du mal à se dépêtrer. Un roman qui permet de retrouver un auteur épris de merveilleux fantastique qui avait déjà eu l'occasion de nous surprendre avec le saisissant Pays du fou ire dont la thématique abordait entre autre l'épineuse place du père, alors que c'est celle de la mère, de l'enfantement et de l'avortement qui s'infiltre dans la trame de ce remarquable Os de lune préface en terme plus qu'élogieux par le talentueux Nail Gaiman.
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samedi 11 mai 2019


La bibliothèque de Mount Char
(Roman) Fantasy
AUTEUR : Scott HAWKINS (Usa)
EDITEUR : GALLIMARD-Folio SF 633, 2/2019 — 576 p., 9 €
TO : The library at Mount Char, 2015
TRADUCTION : Jean-Daniel Brèque
COUVERTURE : Aurélien Police
Précédente publication : Denoël-Lunes d'Encre, 7/2017 — 480 p., 22.90 € — Couverture de Aurélien Police
→ Mount Char, voici un lieu destiné à rester dans les mémoires comme celui de l'hôtel de Shinning ou l'école de Poudlard, un endroit situé en même temps au sein de notre univers et au dehors, une vénérable bâtisse dont les occupants assurent la préservation coûte que coûte. Celui imaginé par Scott Hawkins est une bibliothèque ancrée dans le quartier de Garrison Oaks et elle abrite 12 orphelins devenus des Pelapi, entendez des bibliothécaires largement différents des stéréotypes habituels attribués à la profession Des gamins qui auraient pu être comme les autres s'il n'y avait pas eu Père, cette émule de Mathusalem qui veille jalousement sur eux depuis qu'ils les a pris sous sa coupe. Son but : les instruire en inculquant à chacun le contenu des 12 Catalogues du Savoir que renferme la bibliothèque. Pour David c'est l'art de la guerre, pour Michael le langage des animaux, pour Alicia la prédiction de l'avenir, pour Jennifer les connaissances médicales et la guérison des corps, pour Margaret la fréquention des Morts, pour Carolyn l'apprentissage des langues, etc.... Afin qu'ils excellent dans leur apprentissage Père ne lésine devant aucun sacrifice. Maîtrisant toute les subtilités de l'art médical, y compris la résurrection des morts, il n'hésite pas à leurs infliger les pires châtiments et les pires souffrances comme les faire griller vivant dans une immense taureau métallique. Et tout cela pour leur bien afin que chacun d'eux deviennent tout puissant dans leurs domaines respectifs et soit prêt à affronter les périls qui les guettent comme le Dieu de la Forêt ou le mystérieux Duc. Or voilà qu'un jour Père disparait. De quoi semer l'émoi dans la petite troupe de demi-dieu, même chez le farouche David qui, tout au long de leur éducation semble avoir pris un malin plaisir à aire souffrir ses petits camarades sur lesquels ils impriment désormais son implacable loi du plus fort. Carolyn, la spécialiste linguistique hors normes a eu particulièrement à pâtir des agissements de David, toutefois, celle que l'on découvre comme l'héroïne principale de cette histoire en tout début du livre, semble avoir pris à cœur la disparition inexpliquée de leur mentor. Revenu à Mount Char après avoir tuée le détective Milner, elle participe activement aux recherches de Père avec David et ses frères et sœurs. L'aide de Nobununga, le tigre millénaire aux pouvoirs fascinants, n'ayant pas été suffisante, elle décide alors de se mettre sur les traces d'un talisman primordial le reissak ayrial. Pour cela elle recrute Steve, plombier de son état, mais aussi cambrioleur à la retraite et fier adepte du Bouddha pour les cons. Un Steve vite piégé dans une machination infernale qui l'amènera à affronter des hordes de chiens enragés et à se lier d'amitié avec une lionne venue à son secours. Mais on n'est pas à un paradoxe prêt dans ce récit où le président des Etats-Unis semble être devenu une simple marionnette dont Carolyn tire les fils à l'envie. Dés lors toutes les tentatives destinées à  mette fins aux agissements des enfants de Mount Char, même celles de commandos délites appuyés par des hélicoptères de combats, seront vouées à l'échec. Seul le perspicace Ewin, un héros de guerre qui a du mal à se réinsérer dans la vie civile, parviendra à tirer son épingle du jeu dans cet affrontement disproportionné qui oppose notre pauvre humanité à des sortes de… dieux. Car, inutile de se voiler la face, il ya a quelque chose du divin dans le personnage de Père, ce façonneur de monde sur qui semble reposer tout le destin de l'univers. Jouant habilement du mélange des genres (Fantasy, Légendaire, roman noir, horreur, voire gore) l'auteur, grâce à l'originalité de ces personnages, comme David le roi du meurtre affublé d'un tutu de danseuse,  et la succession de scènes percutantes conjuguant sexe, hémoglobine et délicat parfum d'absurde, sait prendre en laisse son lecteur et l'amener à tourner avidement les pages de son livre pour connaitre le dénouement d'une intrigue qui devance rapidement tout ce qu'on imaginaire peut concevoir. Un grand moment de lecture récompensé par le prix Elbakin 2018 du meilleur roman de Fantasy traduit.
Autre couverture :

vendredi 10 mai 2019


Rêves de machines
(Roman) Intelligence artificielle
AUTEUR : Louisa HALL (Usa)
EDITEUR : GALLIMARD-Folio SF 624, 1/2019 — 418 p., 8.40 €
TO : Speak, Harper Collins, 7/2015
TRADUCTION : Hélène Papot
COUVERTURE : Anne-Gaëlle Amiot
Précédente publication : Gallimard-Du Monde Entier, 2/2017 — 384 p., 22 €
→ Publier un roman de SF grand format hors des collections spécialisées n'est pas un gage de succès, car il a du mal à toucher le public visé. La réédition en Folio de ce premier roman traduit en français de l'américaine Louisa Hall mettra, je l'espère, plus en lumière ce récit qui le mérite. Principalement axé sur l'ambivalence des sentiments que notre société éprouve envers l'intelligence artificielle (fascination/appréhension) le livre aborde ici cette thématique sous un angle nouveau, celui de la nostalgie (comme ce fut le cas dans le film de Christopher Columbus, L'homme bicentenaire, tiré d'une nouvelle de Isaac Asimov) et plus du tout à travers l'approche hostile que proposait Hall, l'IA intrusive de 2001 l'odyssée de l'espace de Stanley Kubrick tiré du roman de Arthur C. Clarke. Louisa Hall nous propose un récit épistolaire qui alterne cinq trames narratives évoluant au fil d'un récit flash back qui nous promène dans des époques différentes avec un même leitmotiv, celui de l'intelligence artificielle. On y rencontre des êtres à part, des êtres d'exception rongés par leur poignante solitude qui cherchent à travers leurs confessions (lettre, journal, mémoire) à faire perdurer la trace d'un passé faisant office de l'esquif auquel se raccroche désespérément un naufragé. Nous voilà donc successivement propulsé en 1663 pour suivre le journal intime de Mary Bradford, jeune immigrée britannique mariée de force à 13 ans à un certain Whittier, et qui n'a pour planche de salut que l'écriture et son petit chien Ralph. Mary qui en 1968 donnera son nom à un logiciel capable de discuter avec l'homme conçu parle  Karl Dettman en utilisant le journal de Mary édité par sa femme Ruth pour qui son intransigeance à  le doter d'une mémoire portera ombrage à leur couple. Un Dettman largement inspiré par les travaux du génial Alan Turing dont nous est retracé en 1928 la correspondance qu'il a entretenue avec la mère de son meilleur ami, Christopher Morcom, à l'origine de sa passion pour l'informatique, et à qui il parle de son projet de conception d'un cerveau artificiel. Mary que l'on retrouve à travers Mary3 en 2035, l'IA qui apaise la peine de Gaby, l'une des adolescentes tombée gravement malade alors qu'on lui a retiré son babybot. Des conversations qui serviront en 2040 au procès à charge de Stephen Chinn condamné à la prison à vie pour avoir créé ces robots trop proche de l'humain qui ont affecté toute une génération d'adolescents. Des approches successives qui privilégient volontairement l'humain, voire le pathos, à travers l'attachement viscéral que nous entretenons avec notre passé, vestige d'un avant que nous ne voudrions jamais voir effacé, miroir déformé de notre présent, mais aussi terreau de notre futur. Une peinture attachante d'individus mal à l'aise dans leur trajectoire de vie, souvent aux prises avec l'incompréhension de leur entourage, qui sert de canevas pour se poser des questions cruciales sur l'avenir de la cohabitation difficile entre l'homme et l'intelligence artificielle. Peut-on la promouvoir sans risquer notre propre altération ? Doit-on doter ces machines ultra perfectionnées d'émotions et de souvenirs, au point de les faire dangereusement nous ressembler ? Enfin, et surtout, seront-elles capables de nous nuire ou bien, comme le croit profondément Chinn, en acquérant toujours plus d'humanité, de nous rapprocher de la notre ? Un roman passionnant s'articulant aussi bien sur l'analyse de la suite de Fibonacci, suite de nombres ou chaque terme représente la somme du précédent, que sur une densité émotionnelle digne de meilleurs récits romantiques.
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Plop
(Roman) Dystopie
AUTEUR : Rafael PINEDO (Argentine)
EDITEUR : GALLIMARD-Folio SF 630, 3/2019 — 178 p., 6.20 €
TO : Plop, Salto de Pagina, 2007
TRADUCTION : Denis Amutio
COUVERTURE : Georges Clarenko
Précédente publication : L'Arbre Vengeur, 1/2011 — 176 p., 12 €/Couverture de Jean-Michel Perrin
→ Un univers de boue, véritable décharge à ciel ouvert, voilà ce qu'est devenu le monde d'après de Rafael Pinedo, cet auteur argentin né à Buenos Aires en 1954 et mort en 2006 dont on nous offre ici le premier roman qui a reçu le prix Casa América en 2002. Pas de pitié, de concession, ni de quelconque empathie au sein de la grappe d'humanité qui survie à la surface de cette planète en décomposition. Plop, ainsi baptisé à cause du bruit qu'il a fait en tombant dans la boue quand il est sorti du ventre de sa mère, représente le parfait symbole de cette promenade en enfer. Pris sous l'aile sans mansuétude de la vieille Goro, l'ancienne du Groupe et la gardienne de l'écriture, il grandit avec Tini et Urso, deux compagnons de décrépitude avec qui il apprend les rudiments de la loi du plus fort, règle sanguinaire qui régit le devenir de ces humains en perpétuelle fuite. Partageant son temps entre le passage aux Lieux d'Echange, les fêtes comme celle du Kariborn et les inévitables chasses où le cannibalisme est devenu monnaie courante, Plop arrive toutefois à gravir peu à peu les échelons de cette hiérarchie de circonstance où culminent les Secrétaires de Brigade et le tout puissant Commissaire Général. Dans cet univers où le sexe se borne à "l'utilisation" du partenaire d'à-côté, Plop a trouvé une aide appréciable par l'intermédiaire de la Guerrière estropiée qui a appris à son Groupe à se battre et à qui il a fourni une esclave pour satisfaire tous ses plaisirs. Une esclave dont la trajectoire sera intimement liée à la sienne comme le montrera la fin de ce roman âpre et intense déroulant chapitre après chapitre une suite de flash back qui conduisent le lecteur, sûrement éprouvé par cette lecture sans filtre, vers un dénouement final somme toute inéluctable. Etrange sensation que cette plongée dans les détritus de la condition humaine où l'on guette à chaque page, mais en vain, des signes de sentiments tels que amour, pitié, compassion, jadis attribués, mais peut-être à tors, à ce que l'on appelait la civilisation, pas loin dans la réalité et dans beaucoup d'endroits dans le monde de se laisser aller aux pires débordements dont sont capables les êtres de notre espèce.
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jeudi 4 avril 2019

Blues pour Irontown
(Roman) SF/Détective
AUTEUR : John VARLEY (Grande-Bretagne)
EDITEUR : DENOËL-Lunes d'Encre, 2/2019 — 261 p., 21.90 €
TO : Irontown blues, 2018
TRADUCTION : Patrick Marcel
COUVERTURE : Studio Denoël
→ La Grande Panne qui a affecté le Calculateur central de Luna a durablement bouleversé l'existence de des habitants de cette cité,  d'abord simple accumulation de grottes et couloirs excavés  au sein de notre satellite, puis véritable agglomération aux quartiers simulés permettant à leurs occupants de vivre au sein d'illusions rappelant les régions et les époques de la Vieille Terre. Cela a notamment été le cas de Christopher Bach, un ex policier reconverti en détective privé. Désormais il vit dans la Mozartplatz, un canyon artificiel de trente-cinq kilomètres de long où il s'est recréé un environnement typique du style Manhattan des années 30 par amour pour une période marquée par les Chandler, les Hammett, Sax rohmer, Rex Stout et Mary Roberts Rinehart. Pour l'accompagner dans ses enquêtes il peut compter sur l'aide de Sherlock, son chien cybernétiquement augmenté qui permet à l'auteur de nous proposer d'astucieux chapitres aux points de vues alternés, d'une part du côté du maître humain, d'autre part de celui du chien qui nous est rendu à travers le prisme d'une traductrice interprète qui se branche sur les pensées qui circulent entre le cloud et le chien dorénavant pourvu d'un réseau neuronal semblable à celui des humains. Et voilà notre duo de choc embarqué dans une aventure qui va leur causer bien des soucis qui a débuté par l'arrivée dans le bureau de Christopher d'une certaine Mary Smith, une jeune femme qui lui demande de retrouver celui qui lui a volontairement inoculé une lèpre incurable issue de laboratoires de synthèse. Dés lors, outre le fait que cette énigmatique cliente semble cacher des tas de secrets inavouables, le pire pour notre Mike Hammer lunaire c'est que sa piste le conduit invariablement vers Irontown, un lieu frappé du sceau du très mauvais souvenir liés à La Grande panne, autre roman de Varley, et aux aventures de Hildy Johnson. A sa décharge, l'endroit n'a rien de bien recommandable. Territoire à la marge, refuges des exclus de la société lunaire, il abrite toutes sortes de looser, de criminels, de sociopathes et d'extrémistes en tous genres, tels les Heinleinistes, des libertariens profondément marqué par L'Histoire du futur du romancier américain Robert Heinlein. Prolongement au cycle de Huit Mondes, qui peut se lire indépendamment du reste des livres de la série, ce roman nous propulse dans le paradis individualiste où presque tout est autorisé (même les transformations corporelles les plus extravagantes) dans lequel se sont réfugiés la poignée de survivants de l'implacable invasion extraterrestre qui a éparpillé les rares rescapés terriens sur les sols inhospitaliers de la lune, de Mars, de quelques astéroïdes et de quelques planètes extérieures et de leurs satellites  comme la dangereuse Charon où s'est développée une civilisation formée sur une racine d'anciens déportés. Surveillé, manipulé, capturé puis transplanté loin de son cocon de réalité programmé, Christopher va se trouver embarqué dans une redoutable conspiration mettant en jeu la coexistence sur les Huit Mondes. L'avantage toutefois c'est que, grâce à la double narration, et surtout à l'humour qui se dégage à travers chaque intervention du détective à quatre pattes, nous proposant son regard sans complaisance souvent teinté d'un totale incompréhension sur les étranges contradictions de la condition humaine, nous sommes emportés dans une intrigue haletante prodiguant un incontestable plaisir de lecture et, après tout, n'est pas surtout ce que l'on attend d'un bon roman qu'il soit de SF ou qu'il emprunte les détours de n'importe quelle autre thématique ?

mercredi 20 mars 2019




La cité du futur
(Roman) Voyages dans le Temps
AUTEUR : Robert Charles WILSON (Canada)
EDITEUR : Gallimard-Folio SF 621, 12/2018 — 458 p., 8.40 €
TO : Last year, Tor Books, 2016
TRADUCTION : Henry-Luc Planchat
COUVERTURE : Aurélien Police
Précédente publication : Denoël-Lunes d’Encre, 5/2017 — 367 p, 22 €/Couverture de Aurélien Police
Du mariage entre western et science-fiction on peut garder le navrant souvenir du film Cow-boys et Extraterrestres,  ou bien conserver le souvenir de la lecture de ce passionnant roman. Voilà un livre bâti sur le principe de la cohabitation temporelle ici formalisée par la construction d’une véritable Cité du futur bâtie par les hommes du XXIème siècle en plein Far West de 1876 grâce à la maîtrise de la technologie du Miroir qui permet désormais les déplacement temporels. De cette rencontre plutôt inattendu les deux camps tirent abondamment partie : les visiteurs du futur en jouissant à prix d’or d’un gigantesque parc d’attraction directement branché sur le passé avec pour point d’orgue des excursions hors des limites de la cité ; les locaux, triés sur le volet, en s’octroyant un aperçu d’un futur étourdissant où les femmes ont le droit de vote et peuvent s’exprimer sur tous les sujets, où les mariages homosexuels sont autorisées et où un noir peut devenir président des USA, le tout éventuellement ponctué d’une balade en hélicoptère. Les premiers sont parfois surpris par la rudesse du Gilded Age qui a suivi les dégâts de la guerre de céssecion  en découvrant une société, raciste, sexiste injuste et violente  menacée par toutes sortes de maladie et bien loin des brochures touristiques fournit par Auguste Kemp, le promoteur du XXIème à l’origine de la construction de la Cité. Les seconds, par contre, passé leur premier mouvement de recul face aux mœurs dissolues qu’ils découvrent au fil de leur visite, ne manquent pas d’être impressionnés par les prouesses technologiques dévoilées par ces visiteurs du futur. Des visiteurs qui ont promis de leur en abandonner quelques-unes lorsqu’ils quitteront les lieux après 5 années d’exploitation du site. Mais la coexistence entre les quatre populations qui occupent cet univers clos, les employés locaux, les employés du futur, les visiteurs locaux et les le voyageurs venus du futur, n’est pas aussi rose qu’elle le paraît. C’est ce que va découvrir Jesse Cullum, ancien videur de Los Angelès, devenu l’un des plus anciens employés de Futurity. Affecté à la sécurité de la Tour 2 qui reçoit les touristiques locaux, il sauve la vie du président Ulysse Grant victime d’une tentative d’assassinat. Promu grâce à cet exploit, Jesse doit désormais enquêter sur le trafic d’arme révélé par la découverte de l’arme utilisée par le meurtrier, un Glock, qui n’a rien à voir avec ses ancêtres les colts de l’année 1876. Epaulé dans ses investigations par Elisabeth DePaul, une ex-militaire issue du futur, Jesse va peu à peu mettre à jour l’impact négatif de cette construction de l’avenir sur le présent des locaux, ainsi que les dégâts occasionnés par les activistes opposés au projet qui, pour le combattre, n’hésitent pas à provoquer des mutations sociales inappropriées au sein d’une population autochtone pas encore prête à les emmagasiner. Tout au fil de l’ouvrage le lecteur aura la désagréable impression, à travers la condesendances affichés par les visiteurs du futur envers le monde du Far West, de se revoir en tant que visiteur de zoo à notre propre époque ou dans la peau d’un quelconque touriste embrigadé dans un tour operator qui n’hésite pas à les confronter, avec l’indispensable recul et le luxe de sécurité adéquat, à la misère accumulée de certains pays du tiers-monde. En évitant l’écueil des paradoxes temporels, car la technologie du Miroir, application dévoyée de la mécanique quantique, ouvre sur un univers parallèle qui n’est pas situé sur la même trame temporelle que ce Far West de 1876, l’auteur nous offre une rencontre entre deux monde, finement décrits dans la première partie du livre en prenant soin de laisser à chaque époque le langage de son temps, ce qui conforte la crédibilité du récit. Pointant habilement le doigt sur les imperfections  des civilisations en présence, l’intrigue se prolonge dans la seconde partie du roman  en approfondissant l’enquête policière de Jesse et de DePaul, développant sans trop de longueur les relations entre les divers personnages dans un univers où les apprentis sorciers venus du futur semblent ne pas se soucier des dommages collatéraux que créent leur simple présence. De quoi nous ramener de façon détourné à des contingences de notre propre réalité où certains membres éclairés de nos sociétés pratiquent le même cynisme envers des individus classés hâtivement dans le cadre mal défini des « défavorisés ». Un élément qui, ajouté au style fluide et captivant de l’auteur, ne peut qu’inciter à la lecture de ce nouveau livre de cet auteur naturalisé canadien déjà bien connu du lectorat français à travers des romans tels que Spin, Mystérieum ou Les chronolithes, pour ne citer qu’eux, tous parus, comme la plupart des titres de cet écrivain chez l’éditeur Denoël et dans la collection Lunes d’Encre jusque là dirigée par le perspicace Gilles Dumay avant, comme ce dernier tire, d'être repris en poche chez Folio.
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