vendredi 10 mai 2019


Rêves de machines
(Roman) Intelligence artificielle
AUTEUR : Louisa HALL (Usa)
EDITEUR : GALLIMARD-Folio SF 624, 1/2019 — 418 p., 8.40 €
TO : Speak, Harper Collins, 7/2015
TRADUCTION : Hélène Papot
COUVERTURE : Anne-Gaëlle Amiot
Précédente publication : Gallimard-Du Monde Entier, 2/2017 — 384 p., 22 €
→ Publier un roman de SF grand format hors des collections spécialisées n'est pas un gage de succès, car il a du mal à toucher le public visé. La réédition en Folio de ce premier roman traduit en français de l'américaine Louisa Hall mettra, je l'espère, plus en lumière ce récit qui le mérite. Principalement axé sur l'ambivalence des sentiments que notre société éprouve envers l'intelligence artificielle (fascination/appréhension) le livre aborde ici cette thématique sous un angle nouveau, celui de la nostalgie (comme ce fut le cas dans le film de Christopher Columbus, L'homme bicentenaire, tiré d'une nouvelle de Isaac Asimov) et plus du tout à travers l'approche hostile que proposait Hall, l'IA intrusive de 2001 l'odyssée de l'espace de Stanley Kubrick tiré du roman de Arthur C. Clarke. Louisa Hall nous propose un récit épistolaire qui alterne cinq trames narratives évoluant au fil d'un récit flash back qui nous promène dans des époques différentes avec un même leitmotiv, celui de l'intelligence artificielle. On y rencontre des êtres à part, des êtres d'exception rongés par leur poignante solitude qui cherchent à travers leurs confessions (lettre, journal, mémoire) à faire perdurer la trace d'un passé faisant office de l'esquif auquel se raccroche désespérément un naufragé. Nous voilà donc successivement propulsé en 1663 pour suivre le journal intime de Mary Bradford, jeune immigrée britannique mariée de force à 13 ans à un certain Whittier, et qui n'a pour planche de salut que l'écriture et son petit chien Ralph. Mary qui en 1968 donnera son nom à un logiciel capable de discuter avec l'homme conçu parle  Karl Dettman en utilisant le journal de Mary édité par sa femme Ruth pour qui son intransigeance à  le doter d'une mémoire portera ombrage à leur couple. Un Dettman largement inspiré par les travaux du génial Alan Turing dont nous est retracé en 1928 la correspondance qu'il a entretenue avec la mère de son meilleur ami, Christopher Morcom, à l'origine de sa passion pour l'informatique, et à qui il parle de son projet de conception d'un cerveau artificiel. Mary que l'on retrouve à travers Mary3 en 2035, l'IA qui apaise la peine de Gaby, l'une des adolescentes tombée gravement malade alors qu'on lui a retiré son babybot. Des conversations qui serviront en 2040 au procès à charge de Stephen Chinn condamné à la prison à vie pour avoir créé ces robots trop proche de l'humain qui ont affecté toute une génération d'adolescents. Des approches successives qui privilégient volontairement l'humain, voire le pathos, à travers l'attachement viscéral que nous entretenons avec notre passé, vestige d'un avant que nous ne voudrions jamais voir effacé, miroir déformé de notre présent, mais aussi terreau de notre futur. Une peinture attachante d'individus mal à l'aise dans leur trajectoire de vie, souvent aux prises avec l'incompréhension de leur entourage, qui sert de canevas pour se poser des questions cruciales sur l'avenir de la cohabitation difficile entre l'homme et l'intelligence artificielle. Peut-on la promouvoir sans risquer notre propre altération ? Doit-on doter ces machines ultra perfectionnées d'émotions et de souvenirs, au point de les faire dangereusement nous ressembler ? Enfin, et surtout, seront-elles capables de nous nuire ou bien, comme le croit profondément Chinn, en acquérant toujours plus d'humanité, de nous rapprocher de la notre ? Un roman passionnant s'articulant aussi bien sur l'analyse de la suite de Fibonacci, suite de nombres ou chaque terme représente la somme du précédent, que sur une densité émotionnelle digne de meilleurs récits romantiques.
Autre couverture : 

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