♦ Les griffes et les crocs ♦(Roman) Dragon Saga
AUTEUR : Jo WALTON
(Gb)
EDITEUR : DENOËL-Lunes d’Encre, 8/2017 — 412
p., 21.90 €
TO : Tooth
and claw, Tor Books, 2003
TRADUCTION : Florence Dolisi
COUVERTURE : Aurélien Police
Critiques : www.elbakin.net
(Siriane)
→ Ce nouveau roman de l’auteur
galloise du cycle de Morwenna débute par l’agonie de Bon Agornin, un énorme
dragon, assisté dans son trépas par Penn, un prêtre dragon, qui s’empresse de
lui dévorer les yeux dés qu’il a recueilli ses dernières paroles. Un entrée en
matière plutôt déroutante pour un lecteur lambda qui ne sait pas encore qu’il
va vivre dans prés de 400 pages au sein d’une société de dragons très anthropomorphe.
Celle-ci se caractérise par deux points principaux. D’abord, son obédience victorienne
car, pour écrire se lire, Jo Walton aurait pris pour modèle le récit du célèbre
auteur britannique Anthony Trollope, Framley
Parsonnage. Dés lors on ne s’étonnera guère de voir nos chers dragons
évoluer selon un strict code de convenance débouchant sur des catégories
sociales bien définies où les nobles occupent le haut du pavé. Gros et
imposants, ils peuvent voler, sont à la tête d’un fief et de richesses
considérables en rapport avec leur statut social (Illustre, Respecté, Digne Eminent)
et dominent tout un peuple de serfs aux ailes attachées. Bien entendu l’ensemble
de ce monde est avant tout patriarcal et les femmes, qui ne peuvent tomber
amoureuses qu’une fois, émoi trahi par le subit rosissement de leurs écailles,
ne pensent qu’à trouver l’élu de leur cœur qui leur assurera protection et longue
descendance. Cette dernière d’ailleurs nous permet de rebondir sur l’autre
originalité de ce roman : nos dragons sont des cannibales. En effet, à la
mort de Bon Agornin, sa famille s’est empressée de se partager sa carcasse, car
les dragons ne peuvent grossir, et dés lors acquérir plus de puissance, qu’en mangeant
de la viande d’autres dragons. Un repas de fête qui, comme de juste, est
réservé aux nobles, ne dédaignant pas, à l’occasion, à ingurgiter leurs propres
enfants si ceux-ci présentent des faiblesses qui pourraient nuire à l’épanouissement
de leur lignée. Ces agapes ne sont pas toutefois sans conséquences, car,
frustrés par la part de roi que l’Illustre Daverak, l’époux de Beren, l’une des
filles de Bon Agornin a prélevé dans la dépouille du défunt, ses autres
enfants, l’ambitieux Avan en tête, lui intentent un procès pour spoliation de
bien. La suite du roman va se construire à cheval sur le déroulement de cette
procédure judiciaire et sur les péripéties amoureuses de Haner et Selendra, sœurs
de couvées et autres filles de Bon Agornin. Au fil de demandes en mariages
successives, de séquestrations et de manigances en tous genres, nous allons
être invités à partager les préoccupations, souvent bien terre à terre, d’une
société refermée sur elle-même qui permet à Jo Walton de parfaire sa critique
de moeurs victoriennes empreintes de sauvagerie et de cruauté sous des atours
poudrés et des apparences de bonnes manières. Le lecteur français friand de
romantisme anglais y retrouvera des accents à la Jane Austen, plus connue que Trollope
de ce côté-ci de la Manche, et ne pourra que se plonger avec une surprise mêlée
d’une certaine admiration dans cette façon souvent drôle et originale d’aborder
ce qui fut une période clé de la vie de nos chers voisins britanniques sans
omettre les rapports avec le religieux et l’importance du joug de la servitude,
certains fidèles valets allant jusqu’à finir dans l’estomac de leurs maîtres.
Un roman surfant avec brio sur le mélange des genres, sans oublier une nette
connotation féministe nous présentant des dragonnelles qui compensent leur
absence de griffes, avec le déficit physique que cela représente pour affronter
les mâles, par la présence de mains qui leurs permettent d’écrire et ainsi de
se prévaloir d’une indéniable supériorité intellectuelle sur leurs pères, leurs
frères et leurs époux. Un livre donc à découvrir pour tous ceux qui ont déjà
apprécié le talent de cet écrivain, auteur notamment de la trilogie uchronique
du Subtil changement, également parue
chez Lunes d’Encre.
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