♦ Rêves de machines ♦
(Roman) Intelligence
artificielle
AUTEUR :
Louisa HALL (Usa)
EDITEUR :
GALLIMARD-Folio SF 624, 1/2019 — 418 p., 8.40 €
TO :
Speak, Harper Collins, 7/2015
TRADUCTION :
Hélène Papot
COUVERTURE
: Anne-Gaëlle Amiot
Précédente
publication : Gallimard-Du Monde Entier, 2/2017 —
384 p., 22 €
→
Publier un roman de SF grand format hors des collections spécialisées n'est pas
un gage de succès, car il a du mal à toucher le public visé. La réédition en
Folio de ce premier roman traduit en français de l'américaine Louisa Hall mettra,
je l'espère, plus en lumière ce récit qui le mérite. Principalement axé sur
l'ambivalence des sentiments que notre société éprouve envers l'intelligence
artificielle (fascination/appréhension) le livre aborde ici cette thématique
sous un angle nouveau, celui de la nostalgie (comme ce fut le cas dans le film
de Christopher Columbus, L'homme
bicentenaire, tiré d'une nouvelle de Isaac Asimov) et plus du tout à
travers l'approche hostile que proposait Hall, l'IA intrusive de 2001 l'odyssée de l'espace de Stanley
Kubrick tiré du roman de Arthur C. Clarke. Louisa Hall nous propose un récit
épistolaire qui alterne cinq trames narratives évoluant au fil d'un récit flash
back qui nous promène dans des époques différentes avec un même leitmotiv,
celui de l'intelligence artificielle. On y rencontre des êtres à part, des
êtres d'exception rongés par leur poignante solitude qui cherchent à travers
leurs confessions (lettre, journal, mémoire) à faire perdurer la trace d'un
passé faisant office de l'esquif auquel se raccroche désespérément un naufragé.
Nous voilà donc successivement propulsé en 1663
pour suivre le journal intime de Mary Bradford, jeune immigrée britannique mariée
de force à 13 ans à un certain Whittier, et qui n'a pour planche de salut que
l'écriture et son petit chien Ralph. Mary qui en 1968 donnera son nom à un logiciel capable de discuter avec l'homme
conçu parle Karl Dettman en utilisant le
journal de Mary édité par sa femme Ruth pour qui son intransigeance à le doter d'une mémoire portera ombrage à leur
couple. Un Dettman largement inspiré par les travaux du génial Alan Turing dont
nous est retracé en 1928 la
correspondance qu'il a entretenue avec la mère de son meilleur ami, Christopher
Morcom, à l'origine de sa passion pour l'informatique, et à qui il parle de son
projet de conception d'un cerveau artificiel. Mary que l'on retrouve à travers
Mary3 en 2035, l'IA qui apaise la
peine de Gaby, l'une des adolescentes tombée gravement malade alors qu'on lui a
retiré son babybot. Des conversations qui serviront en 2040 au procès à charge de Stephen Chinn condamné à la prison à vie
pour avoir créé ces robots trop proche de l'humain qui ont affecté toute une
génération d'adolescents. Des approches successives qui privilégient
volontairement l'humain, voire le pathos, à travers l'attachement viscéral que nous
entretenons avec notre passé, vestige d'un avant que nous ne voudrions jamais
voir effacé, miroir déformé de notre présent, mais aussi terreau de notre futur.
Une peinture attachante d'individus mal à l'aise dans leur trajectoire de vie,
souvent aux prises avec l'incompréhension de leur entourage, qui sert de
canevas pour se poser des questions cruciales sur l'avenir de la cohabitation
difficile entre l'homme et l'intelligence artificielle. Peut-on la promouvoir
sans risquer notre propre altération ? Doit-on doter ces machines ultra
perfectionnées d'émotions et de souvenirs, au point de les faire dangereusement
nous ressembler ? Enfin, et surtout, seront-elles capables de nous nuire ou
bien, comme le croit profondément Chinn, en acquérant toujours plus d'humanité,
de nous rapprocher de la notre ? Un roman passionnant s'articulant aussi bien
sur l'analyse de la suite de Fibonacci, suite de nombres ou chaque terme
représente la somme du précédent, que sur une densité émotionnelle digne de
meilleurs récits romantiques.
Autre couverture :
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