(Roman)
Science-Fiction / Uchronie
AUTEUR : Roland C. WAGNER (France)
EDITEUR : Gallimard-Folio SF 512, 3/2015 — 794 p., 10.90 €
COUVERTURE : Yayashin
Précédente publication :
L’Atalante-La Dentelle du Signe, 4/2011 — 704 p., 24.50 € — Couverture : Gilles
Francescano
→ Roland C Wagner a toujours
été un auteur atypique. Fan de contre-culture, musicien endiablé, traducteur de
Norman Spinrad, mais aussi grand amateur de littérature populaire (il ne faut
pas oublier que sous le pseudonyme de Richard Wolfram il poursuivit le cycle
Blade et Baker de Jimmy Guieu, et qu’il pouvait lire et aimer des textes de
fantasy) tirant sur un pétard quand l’occasion se présentait, c’était vraiment
un gars fréquentable en tous points dans notre époque sombre où toutes sortes d’extrémismes
tiennent le haut du pavé. C’est, paradoxalement, un regard sur notre propre
actualité qu’il plonge dans son chef d’œuvre incontestable, Rêves de gloire, une uchronie où l’Algérie
tient aux côtés de la France le rôle que beaucoup tentent de lui dénier. Dans
cette tranche d’univers alternatif, tout aurait commencé par l’attentat réussit
sur le général De Gaulle. Un assassinat qui aurait débouché sur une partition
de l’Algérie qui laisse à la France trois enclaves, Bougie, Oran et Alger.
Tandis que dans les Aurès un déserteur français se fait l’apôtre de la non
violence, Timothy Leary ramène dans ses valises la Gloire, un dérivé du LSD,
qui ne tarde pas à s’imposer auprès des vautriens, mouvement psycho-hippie
installé dans l’algérois. Pendant ce temps, en France, les précurseurs de
Jean-Marie Le Pen ont gagné partie, car la Métropole est tombé sous la coupe d’un
régime fasciste. Dés lors Roland C. Wagner nous invite à suivre la trame de destinées
marquées par des points de départs forgés au sein de bribes de réalités
divergentes. Des trajectoires qui s’imbriquent au sein d’un roman protéiforme,
plutôt composé de fragments que de chapitres, nous entraînant sur les traces
bien singulières de l’un de nos contemporains, un collectionneur de vinyles
centrés sur le rock algérien. Il recherche plus précisément un titre tiré à pas
plus de 50 exemplaires : Rêves de
gloire, par les Glorieux Fellaghas. Or, au fur et à mesure que se déroule
son enquête, il s’aperçoit que tous les précédents propriétaires d’un tel objet
sont morts de façon très peu naturelle. Servie par une écriture fluide, jamais
ennuyeuse, l’intrigue nous permet de rencontrer une multitude de personnages,
comme par exemple le fameux Albert Camus, peints à travers des époques
différentes, mais évoluant tous à travers le tronc commun de l’Histoire
franco-algérienne et sur fond de rock psychédélique favorisé par l’absorption
de substances plus qu’illégitimes selon l’angle et le point de vue. Fruit de se
naissance algérienne (et de son amour du rock) d’un père d’origine allemande
ballotté sur l’échiquier des guerres du monde, ce roman est le Seigneur des Anneaux de Roland C. Wagner, une sorte de chant du cygne
sans le savoir (puisque l’auteur allait mourir en 2012, un an après sa parution,
dans un accident de voiture) où il a mis toutes ses tripes afin, à travers le
prisme de l’uchronie, de nous sensibiliser sur les errements de notre propre
réalité. Saupoudré de références made année 60, le livre se battît sur deux
utopies, celle d’une Algérie émancipée de sa tutelle colonisatrice, et celle d’un
monde où aurait triomphé l’idéal pacifiste des manifestants contre la guerre du
Vietnam et des confréries hippies de San Francisco. Un peu si comme les Daniel Cohn-Bendit
ou Serge July de mai 1968 avaient vu la révolte étudiante enflammer le pays et
ne pas s’éteindre sous les lances réactionnaires des manifestations pro-gaullistes
quelques mois plus tard. Dans la trame d’univers qu’il nous décrit on sent que
l’auteur à volontairement changé des événements charnières de notre propre
temps considéré comme des défaites des libertés, par exemple en dynamitant le
bloc de l’Est sous les coups de boutoirs de la révolte pragoise réussie de 1956
ou, en changeant la donne aux USA débarrassés le la mort de JFK à Dallas. On pourra
dire que la France, elle, s’en tire plus mal avec la main mises des bottes
noires sur son territoire où l’OAS n’aura jamais sévit. Mais le vent de liberté
qui souffle de l’algérois compense cette emprise que ne saurait être rédhibitoire.
Un Alger qui semble être l’un des personnages phares du récit (le livre ayant
eu pour premier titre Chroniques
algéroises), en même temps que la figure tutélaire d’Albert Camus, tout
comme l’Histoire alternative du rock décliné sous les terminologies de « gymnase »
ou « psychodélique » avant de rejoindre le punk. Mais ce roman, sort
de puzzles à plusieurs, qui mérite plusieurs lectures, ne s’adresse pas qu’aux
seuls nostalgiques des années soixante ou aux partisans de la devise Sexe, drogue et rock’n’roll, il brasse
un public beaucoup plus large, celui des simples amateurs de littérature, celui
des lecteurs qui pensent qu’ouvrir un livre s’est s’exposer aux chambardements
de son propre imaginaire, comme les spectateurs des vieux épisodes de la 4ème
dimension qu’une voix off avertissait de ne pas toucher aux boutons de son
téléviseurs supposé victime d’un quelconque déréglage. Lisez donc Rêves de
Gloire, vous comprendrez de quoi je parle et, somme toute ce sera une manière
de prendre un dérivé du LSD (la drogue censé ici prouver que Dieu n’existe pas,
ce qui aurait pu mettre un terme aux intégrismes de tous bords) sans les effets
secondaires qui pourraient s’en suivre. A noter également que l’édition de
poche Folio, plus compacte, évite de payer des suppléments de bagages en avion
qu’entraînait le gros pavé de 700 pages de l’Atalante. Un roman qui a reçut de multiples
prix (ActuSF de l’uchronie, Grand Prix de l’Imaginaire 2012, Rosny Ainé 2012,
etc…) et qui a été l’objet de nombreuses critiques, la plupart élogieuse, comme
l’atteste la revue des articles de presse consacrés au roman consultable sur le
site de l’Atalante.
Autre couverture :
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