lundi 1 octobre 2018


Kaboul et autres souvenirs de la Troisième Guerre Mondiale
(Recueil de nouvelles) Uchronie
AUTEUR : Michael MOORCOCK (Royaume Uni)
EDITEUR : DENOËL-Graphic, 7/2018 — 223 p., 23 €
TRADUCTION : Jean-Luc Fromental
COUVERTURE & ILLUSTRATIONS : Miles Hyman
SOMMAIRE :  ● Danse à Rome ● Escale au Canada ● Rupture à Pasadena ● Kaboul ● Incursion au Cambodge ● Le retour d'Odysseus
→ Que ce soit à travers son cycle d'Oswald Bastable ou les romans ancrés dans le Multivers (Elric, Erekosë, etc…) le vénérable auteur britannique Michael Moorcock nous a habitué à flirter avec l'Uchronie. Dans ce nouveau recueil brillamment imagé par les illustrations couleurs pleine page de Miles Hyman, il s'inspire à nouveau de cette thématique chère aux auteurs natifs de la perfide Albion. C'est ainsi qu'il nous invite à partager tout au long de six nouvelles l'errance à travers un monde en décomposition de Tom Dubrowski, espion russe d'origine juive. Nous faisons d'abord sa connaissance alors, qu'infiltré à Londres sous l'identité d'un antiquaire polonais, il est envoyé à Rome par son chef afin, en tant qu'agent dormant, de surveiller ses homologues ainsi que les traîtres éventuels, tout en signalant quiconque pouvait s'avérer d'une quelconque utilité pour les rouages obscurs des services du FSB. Tandis que les troupes de l'OTAN débarquaient à Chypre et que l'alliance syrienne équilibrait à peine la coalition israélo-égyptienne, Tom, à peine arrivé dans la cité éternelle, développe assez vite une relation intime avec Suzie Yellowless, petite anglaise venue du monde de la pop-music, qui le faisait profiter de son cercle d'amis et qui lui présenta Peter Martin et John Fuller, un couple d'homosexuels américains que ses supérieurs soupçonnaient d'appartenir à la CIA. Cette Danse à Rome se termine par un avortement et une mutation express à Kaboul. L'étape suivante de cette lente promenade au bord du gouffre nous propose une Escale au Canada, dans laquelle le narrateur en profite pour nous en dire un peu plus sur son passé, tout en continuant de retracer, sur fond de signature de pacte russo-indien, une nouvelle rencontre avec ces femmes souvent ectoplasmiques et interchangeables qui meublent son existence de nomade désœuvré. La suite, après un bref intermède à Maracaibo, entraîne notre globe-trotter de l'Armageddon dans Une rupture à Pasadena où il retrouve Julia, une ancienne compagne en train de mourir, frappée comme tant d'autres par épidémies et radiations sur une Terre où l'Afrique et l'Australie ont déjà été rayés de la carte. Puis, d'agent infiltré évoluant au sein d'une bourgeoisie parfois aveugle aux errements de la civilisation, Tom se transforme en mercenaire sans âme membre d'une troupe hétéroclite composée de survivants des forces spéciales de l'Onu et de l'Otan, d'un détachement d'Ouzbeks, de quelques Sikhs, de pas mal de bandits ramassés en chemin et d'une majorité de cavaliers cosaques placés sous le commandement du colonel Savitsky et en route vers Kaboul, qui donne son titre à  la nouvelle, alors que des frappes nucléaires venaient de détruire Lahor et Amristar. Spectateur désabusé d'une débandade généralisée, Tom ne participe par aux massacres perpétrés sur des prisonniers ou des civils, à la torture systématique ou au viol collectif, même s'il tue parfois quelqu'un par inadvertance. Non, il se contente de revivre quelques heures d'un amour sans lendemain avec la séduisante Emmy dans les caves d'une capitale afghane devenue une pâle copie d'Hiroshima. Incursion au Cambodge, le cinquième récit du recueil porte en lui les accents d'un Apocalypse Now revisité avec un Stavisky devenu commandant de division et son lot d'embuscades, de destructions de villages, de charges folles à travers les rizières, tandis que des champignons rougeoyants montent dangereusement sur l'horizon. C'est donc sans surprise que dans le dernier texte du livre, Le retour d'Odysseus,  on épilogue sur un Tom mourant qui, tel l'Ulysse de l'Odyssée, retourne dans son Odessa Natale frappée  par la quarantaine occasionnée par le terrible virus VB, afin de rencontrer une dernière fois sa famille et de s'embarquer sur une vieux Léviathan des mers bourré de munitions avec des compagnons condamnés comme lui au sein d'une pathétique flotte des Vétérans. Rien donc de vraiment réjouissant dans ce livre qui résonne comme une sorte de testament écrit sous la plume d'un auteur qui avoue son impuissance face aux dérives de notre propre quotidien dans des phrases comme : "Nous sommes tous fautifs. Pas seulement Trump, Poutine ou Kim. Nous sommes entrés en somnambule dans une guerre qui a commencé furtivement et s'est achevée dans le silence." Mais, comme toujours, nous sommes pris dans le canevas de la narration mordante et intimiste d'un écrivain qui nous invite à partager toute les désillusions de son nouvel anti-héros qui, tel le Elric melnibonéen, marche sans conviction vers sa mort annoncée, le tout mis en lumière par les images géantes et captivantes de l'artiste Miles Hyman donnant à ce livre une sorte de développement cinématographique aidant le lecteur à s'approprier l'histoire comme un téléspectateur rivé aux épisodes de sa meilleure série dans  un récit convoquant tous les fantasmes moorcockiens parcourus par les soubresauts d'un féminisme n'arrivant pas à se déterminer, des fanatismes religieux, de la propension humaine à scier la branche sur laquelle il est assis et de sa mauvaise foi proverbiale concernant son implication directe, même quand il s'agit du propre suicide d'une espèce humaine si irresponsable qu'il mérité bien d'y appartenir.


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