♦ Kaboul et autres souvenirs de la Troisième Guerre Mondiale
♦
(Recueil
de nouvelles) Uchronie
AUTEUR : Michael MOORCOCK (Royaume Uni)
EDITEUR : DENOËL-Graphic,
7/2018 — 223 p., 23 €
TRADUCTION : Jean-Luc Fromental
COUVERTURE & ILLUSTRATIONS : Miles Hyman
SOMMAIRE : ●
Danse à Rome ● Escale au Canada ● Rupture à Pasadena ● Kaboul ● Incursion au
Cambodge ● Le retour d'Odysseus
→ Que
ce soit à travers son cycle d'Oswald
Bastable ou les romans ancrés dans le Multivers
(Elric, Erekosë, etc…) le vénérable auteur britannique Michael Moorcock nous a
habitué à flirter avec l'Uchronie. Dans ce nouveau recueil brillamment imagé
par les illustrations couleurs pleine page de Miles Hyman, il s'inspire à
nouveau de cette thématique chère aux auteurs natifs de la perfide Albion.
C'est ainsi qu'il nous invite à partager tout au long de six nouvelles
l'errance à travers un monde en décomposition de Tom Dubrowski, espion russe
d'origine juive. Nous faisons d'abord sa connaissance alors, qu'infiltré à
Londres sous l'identité d'un antiquaire polonais, il est envoyé à Rome par son
chef afin, en tant qu'agent dormant, de surveiller ses homologues ainsi que les
traîtres éventuels, tout en signalant quiconque pouvait s'avérer d'une
quelconque utilité pour les rouages obscurs des services du FSB. Tandis que les
troupes de l'OTAN débarquaient à Chypre et que l'alliance syrienne équilibrait
à peine la coalition israélo-égyptienne, Tom, à peine arrivé dans la cité
éternelle, développe assez vite une relation intime avec Suzie Yellowless,
petite anglaise venue du monde de la pop-music, qui le faisait profiter de son
cercle d'amis et qui lui présenta Peter Martin et John Fuller, un couple
d'homosexuels américains que ses supérieurs soupçonnaient d'appartenir à la
CIA. Cette Danse à Rome se termine
par un avortement et une mutation express à Kaboul. L'étape suivante de cette
lente promenade au bord du gouffre nous propose une Escale au Canada, dans laquelle le narrateur en profite pour nous
en dire un peu plus sur son passé, tout en continuant de retracer, sur fond de
signature de pacte russo-indien, une nouvelle rencontre avec ces femmes souvent
ectoplasmiques et interchangeables qui meublent son existence de nomade désœuvré.
La suite, après un bref intermède à Maracaibo, entraîne notre globe-trotter de
l'Armageddon dans Une rupture à Pasadena où il retrouve Julia, une
ancienne compagne en train de mourir, frappée comme tant d'autres par épidémies
et radiations sur une Terre où l'Afrique et l'Australie ont déjà été rayés de
la carte. Puis, d'agent infiltré évoluant au sein d'une bourgeoisie parfois
aveugle aux errements de la civilisation, Tom se transforme en mercenaire sans
âme membre d'une troupe hétéroclite composée de survivants des forces spéciales
de l'Onu et de l'Otan, d'un détachement d'Ouzbeks, de quelques Sikhs, de pas
mal de bandits ramassés en chemin et d'une majorité de cavaliers cosaques placés
sous le commandement du colonel Savitsky et en route vers Kaboul, qui donne son titre à
la nouvelle, alors que des frappes nucléaires venaient de détruire Lahor
et Amristar. Spectateur désabusé d'une débandade généralisée, Tom ne participe
par aux massacres perpétrés sur des prisonniers ou des civils, à la torture
systématique ou au viol collectif, même s'il tue parfois quelqu'un par
inadvertance. Non, il se contente de revivre quelques heures d'un amour sans
lendemain avec la séduisante Emmy dans les caves d'une capitale afghane devenue
une pâle copie d'Hiroshima. Incursion au Cambodge,
le cinquième récit du recueil porte en lui les accents d'un Apocalypse Now revisité avec un Stavisky
devenu commandant de division et son lot d'embuscades, de destructions de
villages, de charges folles à travers les rizières, tandis que des champignons
rougeoyants montent dangereusement sur l'horizon. C'est donc sans surprise que
dans le dernier texte du livre, Le retour
d'Odysseus, on épilogue sur un Tom
mourant qui, tel l'Ulysse de l'Odyssée,
retourne dans son Odessa Natale frappée
par la quarantaine occasionnée par le terrible virus VB, afin de
rencontrer une dernière fois sa famille et de s'embarquer sur une vieux
Léviathan des mers bourré de munitions avec des compagnons condamnés comme lui
au sein d'une pathétique flotte des Vétérans. Rien donc de vraiment réjouissant
dans ce livre qui résonne comme une sorte de testament écrit sous la plume d'un
auteur qui avoue son impuissance face aux dérives de notre propre quotidien
dans des phrases comme : "Nous
sommes tous fautifs. Pas seulement Trump, Poutine ou Kim. Nous sommes entrés en
somnambule dans une guerre qui a commencé furtivement et s'est achevée dans le
silence." Mais, comme toujours, nous sommes pris dans le canevas de la
narration mordante et intimiste d'un écrivain qui nous invite à partager toute
les désillusions de son nouvel anti-héros qui, tel le Elric melnibonéen, marche sans conviction vers sa mort annoncée, le
tout mis en lumière par les images géantes et captivantes de l'artiste Miles
Hyman donnant à ce livre une sorte de développement cinématographique aidant le
lecteur à s'approprier l'histoire comme un téléspectateur rivé aux épisodes de
sa meilleure série dans un récit convoquant
tous les fantasmes moorcockiens parcourus par les soubresauts d'un féminisme
n'arrivant pas à se déterminer, des fanatismes religieux, de la propension
humaine à scier la branche sur laquelle il est assis et de sa mauvaise foi
proverbiale concernant son implication directe, même quand il s'agit du propre
suicide d'une espèce humaine si irresponsable qu'il mérité bien d'y appartenir.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire