♦ Dans
la toile du temps ♦
(Roman)
Hard Science
AUTEUR : Adrian TCHAIKOVSKY (Angleterre)
EDITEUR : DENOËL-Lunes d’Encre,
3/2018 — 578 p., 24 €
TO : Ha’penny, 2007
TRADUCTION : Henri-Luc
Planchat
COUVERTURE : Gaelle Marco
→ Arachnophobes attention, le roman que vous
avez entre les mains fait la part belle à ces gentilles petites bestioles qui
partagent avec nous notre bonne vieille Terre. Et surtout ne croyez pas vous en
débarrasser avec un simple insecticide ou un bon coup de balais, car celles
dont va nous parler Adrian Tchaikovsky ont atteint un niveau de civilisation
qui, même si nous le comprenons pas, nous dépasse largement et nous dépassera
sûrement dans ce lointain futur qui sert de décor à cette passionnante histoire.
Tout commence lorsque l’Humanité, consciente de l’avenir étriqué que lui
réserve notre planète bleue, et après avoir colonisé la proche banlieue que
constitue notre système solaire, se lance dans la colonisation des vastes
espaces interstellaires avec pour crédo le maître mot terraformation. C’est d’ailleurs
cette tache essentielle que vient de terminer le Brin 2 (hommage à l’auteur de
SF David Brin), vaisseau scientifique humain, sur un monde extrasolaire situé à
des années-lumière de la Terre. Le docteur Avrana Kern, à la tête du projet, s’apprête
à passer à l’étape suivante du processus, soit le largage sur la planète d’un
millier de singes et d’un nanovirus destiné à leur faire subir une évolution
accélérée jusqu’à ce qu’ils soient en capacité de comprendre les messages
mathématiques envoyés par un satellite laissé en orbite autour de la planète et
qu’ils puissent y répondre. Ce stade ultime atteint ils seraient en mesure d’accueillir
comme des dieux les colons terriens venus récolter le fruit de leur fabuleuse
expérience. Mais, alors que le Brin s’apprête à repartir pour ensemencer d’autres
mondes l’imprévisible se produit sous la forme d’un révolutionnaire du NUN,
entendez les Non Ultra Natura, qui prône par la violence un retour radical à la
nature. Ce dernier réussit à détruire le Brin 2 et à faire griller les singes cobayes. Seule
Avrana Kern parvient à s’échapper en se réfugiant dans le module orbital
autonome placé autour de l’astre terraformé où, faisant désormais corps avec
les composantes électroniques de l’engin, ne sachant pas que ses précieux primates
ont subi un sort funeste, elle entre dans une longue période de cryogénisation.
Or, sur le monde en question, baptisé désormais la planète de Kern, si l’ensemble
des vertébrés ont été immunisés contre les effets du nanovirus, ce n’est pas le
cas des invertébrées, passagers clandestins involontaires du Brin 2. Dés lors,
profitant de l’effet élévation contrôlée que diffuse ce dernier, va se
développer une civilisation d’où émerge, au fond de l’océan, des crustacés
représentés par des stomatopodes marins, sortes de crevettes endémiques, et sur
terre des insectoïdes, fourmis et surtout araignées en tête. Ces dernières, et
notamment l’espèce Portia Labatia, particulièrement réceptive à la diffusion du
nanovirus, vont transformer leur individualisme inné en conscience sociale, puis
en redoutable intelligence, et ensuite véritable technologie approprié à leur
propre espèce qui va leur permettre de régner sur la plus grande partie de la
planète. Et pendant ce temps les humains, me direz-vous… Et bien, comme prévue,
à travers le conflit entre les progressistes et les membres du NUN, ils ont
fini par s’autodétruire après avoir rendu la Terre inhabitable. Seul vestige de
l’Humanité agonisante, le Gilgamesh, une gigantesque arche stellaire peuplée de
près de 500 000 individus en animation suspendue, qui s’approche désormais
du monde Kern dans le but de recommencer à zéro sur cette nouvelle terre
promise. A sin bord, Holsten Mason, l’historien linguiste, Isa Lain, la
chef-ingénieur, et Vries Guyen, le
commandant du Gilgamesh, ont été réveillé pour préparer les bases de cette
arrivée en fanfare. Mais voilà l’entité Avra Kern n’entends pas que des
éléments extérieurs viennent troubler l’expérience menée sur ses précieux
primates et à placé la planète en quarantaine. C’est ainsi que les humains du
Gilgamesh sont repoussés manu militari et priés d’aller polluer des astres bien
plus lointains. A partir de cet instant, Adrian Tchaikovsky va nous inviter à
suivre par l’intermédiaire de chapitres alternant les points de vue, les
trajectoires destinées à se rejoindre des araignées en perpétuelle mutation et
des humains en perpétuels conflits. En effet, sur le monde de Kern, après avoir
vaincu les fourmis qu’elles ont transformé en sortes de robots dévolus à leur
service, les arthropodes violemment matriarcales (les mâles sont souvent
dévorés après l’accouplement) évoluent à vitesse grand V grâce à la
transmission de transferts d’expériences, les Savoirs, à travers des lignées qui se renouvellent
avec des noms distinctifs, Portia, Fabian, Viola, qui permettent aux lecteurs d’entrer
plus facilement en empathie avec des êtres dont pourtant tout nous sépare. Tout
au contraire, chez les humains, nous avons droit à toute la panoplie de
dissension et luttes intestines qui minent une société fermée dont les membres
se confrontent au fil des réanimations successives qui émaillent leur
aller-retour dans l’espace, car le Gilgamesh n’envisage en fait qu’une option :
retourner envahir le monde de Kern. Nul doute alors que les araignées ne seront
pas du même avis et gare à la confrontation finale. Faisant parti des ultimes
choix de Gilles Dumay avant qu’il ne quitte la direction de la collection Lunes
d’Encre, ce roman prouve une fois de plus son talent indéniable pour débusquer
de véritables pépites littéraires. Car Dans
la toile du temps est réellement un récit passionnant. Tant par le soin que
son auteur a pris à décrire la densité émotionnelle qui anime ses personnages,
autant humains qu’arachnides, que par l’extraordinaire description de la
civilisation insectoïde qui nous est proposée. Bien que celle-ci soit basée sur
des concepts totalement différents des nôtres, la vue et le toucher étant par
exemple remplacé par le toucher et le chimie des phéromones, tandis que nos
chères lois de la physique font place à celles de la chimie et de la
biotechnologie, elle nous captive page après page au gré de mutations
anatomiques, de luttes contre d’autres insectes, de conflits internes sur fond
de querelles religieuses où l’entité Kern fait office de nouvelle déesse dont
cependant les araignées ne tarderont pas à cerner les limites quand elles
seront en mesure d’entrer en contact avec elle. Rarement un contact
extraterrestre a été si habilement décrit nous le rendant parfaitement
compréhensible et envisageable. Entomologiste de formation, qui a déjà utilisé
le monde des insectes comme source d’inspiration, comme dans son cycle de
fantasy de Shadows of the Apt, Adrian Tchaikovsky aborde des thématiques
hard-science (arches stellaires, contre-utopie, intelligence artificielle,
post-apocalypse) où l’on retrouve les influences d’auteurs majeurs du genre,
David Brin, Stephen Baxter, Peter Hamilton, etc…, en supportant toujours avec
brio la comparaison et nous entraîne avec lui dans un univers inversé où l’humain,
loin de jouir du beau rôle, fait désormais office d’agresseur. Une œuvre qui,
sans nul doute, fera date dans l’histoire de la SF contemporaine.
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