◊ Le train
de la réalité et les morts du général ◊
(Recueil de nouvelles)
Science-Fiction / Uchronie
AUTEUR : Roland C. WAGNER (France)
EDITEUR : Gallimard-Folio SF 513, 3/2015
— 272 p., 7.50 €
COUVERTURE : Yayashin
Précédente publication : L’Atalante-La Dentelle du Signe, 2/2012 — 192 p., 12.50 € —
Couverture : Le Raff
→ Avec Rêves de gloire,
publié chez l’Atalante en avril 2011,
Roland C. Wagner avait enfin son chef-d’œuvre, entendait cet ouvrage
particulier que les artisans Compagnons réalisent à la fin de leur
apprentissage. Pierre angulaire d’une œuvre protéiforme marquée par le sillon
musical du Sexe, drogue & rock’n’roll,
ce pavé exhumé des plages d’un imaginaire foisonnant et subversif, nous
décrivait une France uchronique où le
Général de Gaulle était mort lors d’un attentat en 1960, tandis que la Guerre d’Algérie s’était
soldée par la partition du dit pays, laissant à la France trois
enclaves : Alger et ses environs, Oran et Bougie en Kabylie pendant que la
métropole était tombée sous le joug d’un Etat fasciste. Le train de la réalité et les morts du Général, que nous découvrons
aujourd’hui réédité dans la collection Folio SF de Gallimard, après une
première parution chez l’Atalante, nous invite à une nouvelle plongée dans cet
univers fragmentaire à travers des nouvelles packagées autour de témoignages en
direct portant sur l’assassinat du Général. Véritable bonus centré sur des
points de vues divergents, ce patchwork de récits quantiques où les réalités
s’entremêlent en même temps que les personnages, nous offre un point de vue
sans égal et sans compromis sur le monde tel qu’il est, pas si éloigné du monde
tel qu’il aurait pu être, plus proche cependant de celui de Franco et de
Pinochet, que des utopies soixante-huitardes véhiculées par une jeunesse qui
espérait remodeler le monde à l’aune de la musique, du sexe et de la drogue
symbolisé par un Festival de Biarritz, sort de Woodstock à la française que les
plus de soixante ans n’ont malheureusement jamais connu. Le texte ouvrant le
recueil confronte le narrateur à une première expérimentation de la Gloire, substance censée
faire entrer l’individu en étroite interaction avec son environnement, mais dont
le trip débouche sur un tout autre résultat que celui escomptait par le
Philosophe mettre d’œuvre de ces travaux dirigés en matière de LSD. Le second
texte, nous permet de faire la connaissance d’un agent dormant du KGB, libraire
à Marseille et nounou d’un scientifique russe répondant au doux nom de Wul
(clin d’œil à la SF
française des années faste du Fleuve Noir Anticipation). On y apprend notamment
que les agents de l’ex URSS vouent une passion immodérée aux Chroniques
martiennes de Ray Bradbury, car celles-ci se déroulaient sur la planète… Rouge,
of course. La suite nous ramène vers la fameuse Gloire, cette fois par le biais
d’une jeune française de Métropole, une vautrienne, entendez une disciple d’un
mouvement crypto-hippie, qui nous permet d’avoir une vue d’ensemble sur cette
France où l’extrême droite a conquis le pouvoir (dans l’optique politique de
l’auteur on pourrait y voir un avertissement dangereusement prémonitoire). Bien
entendu, la résistance c’est organisée avec une rébellion artistique qui bat le
pavé sous l’égide d’un réseau culturel souterrain. Retour vers l’enclave
d’Alger pour le quatrième texte qui nous plonge au cœur du seul unique festival
punk d’Alger aux côtés d’un algérois fan de rock à l’accent pied noir ici
fidèlement retranscrit. Le cinquième fragment inscrit l’intrigue dans la
trajectoire d’un schizophrène made in casbah dont le rendu de l’histoire est
encore plus intense grâce à l’utilisation de la première personne qui est
l’apanage de toutes ces nouvelles. L’avant dernier récit est avant tout
musical, puisqu’il retrace l’aventure d’un batteur de rock pas exempt de tous
reproches et qu’il nous rappelle l’amour inconditionnel de l’auteur pour un
certain genre de musique proche du rock-psychédélique, mis en exergue par son
appartenance au fameux groupe Brain Damage. Enfin, Le train de la réalité, qui conclut ce recueil, nous conduit sur
des rails d’une réalité encore divergente vers une Amérique de cowboys où un
étrange J.C. s’acharne sur un pauvre gamin malade. Bon, en fermant le livre,
nous en aurons appris beaucoup sur les différents morts du Général à travers
les protagonistes de tous bords qui y ont participé de prés ou de loin. Mais on
aura surtout pu redécouvrir toutes les passions (Science-Fiction,
contre-culture, rock et physique quantique) qui animait Roland C. Wagner, ce
boulimique de vie trop tôt disparu à cause de l’invention de l’automobile et de
l’un de ces fichus accidents qui, outre le fait de faire grimper les
statistiques de la sécurité Routière, nous prive d’un romancier à la plume
vraiment singulière et pour ma part… d’un véritable ami.
Autre
couverture :