dimanche 12 mai 2019


 Os de lune
(Roman) Monde Parallèle
AUTEUR : Jonathan CARROLL (Usa)
EDITEUR : GALLIMARD-Folio SF 635, 4/2019 — 272 p., 7.90 €
TO : Bones on the moon, Arbor House, 1987
TRADUCTION : Danielle Michel-Chich & Nathalie Duport-Serval
COUVERTURE : Gérard Dubois
Précédentes publications :
● Albin Michel-Blême, 2/1990 — 264 p., 85 Frs — Traduction de Danielle Miche-Chich — Couverture de Jean-Louis Chabry
● Pocket-Terreur 9230, 10/2001 — 288 p., 7.50 €
● Aux Forges de Vulcain, 5/2017 — 4/2017 — 240 p., 19 € — Traduction de Danielle Miche-Chich & Nathalie Duport-Serval — Couverture de Elena Vieillard
Ce splendide roman, traduit pour la 1ère fois dans la collection Blêmes des éd. Albin Michel en 1990, nous invite à partager les rêves tourmentés de la jeune Cullen-James. A peine sortie d'une cruelle désillusion sentimentale qui s'est conclue par un avortement, la jeune femme a  retrouvé une vie tranquille  en épousant Dany, sportif accompli et ancien camarade d'université, qui lui donne une petite fille. Cependant, Cullen commence à être la victime d’une série de cauchemars récurrents qui l’entraînent sur l’île de Rondua. Un monde fantastique et extravaguant peuplé d'animaux géants qui parlent italien dont peu à peu elle saisira le sens intimement lié à un profond traumatisme de son passé. Dans cet univers aux gigantesques pyramides poussant sur une plaine peuplée de machines arrêtées elle doit veiller, aidée du chien Mr Tracy, sur Pepsi, l’enfant qu’elle n’a pas eu et qui pourtant l'appelle maman.  Celui-ci, afin d’empêcher la contagion du Mal est chargé de rassembler cinq os de lune semés sur toute l’étendue de Rondua. Toutefois, la possession de ces fameux os de lune n'est pas sans risques, car elle confère un pouvoir déterminant sur le monde des rêves. Poursuivie par ses rêves répétitifs  à  la fois fantastiques et cauchemardesques, Cullen décide de les consigner par écrit en une sorte de mini-feuilleton. Tandis que son voisin, Alan Williams, qui a tué sa mère et sa sœur dans un moment de démence, demande à correspondre avec elle du fond de sa cellule, elle doit également composer avec Weber Greston, un cinéaste dont elle a éconduit les avances avec un rayon lumineux jailli de sa main et qui, repenti, revient à la charge, tout en continuant ses escapades sur Rondua où avec la louve Félina elle s'implique de plus en plus dans la quête des Os de lune de Pepsi. Voyant son quotidien de plus en plus envahi par l'univers onirique, Cullen se laisse entraîner dans ce récit sans dessus-dessous dont le background n'est pas sans rappeler l'Alice au pays des Merveilles d'un certains Lewis…Carroll. De ce livre où les animaux parlent et où le danger rôde, un monde ou les lapins font surgir des magiciens de leurs chapeaux, se dégage un fantastique glacial et terrorisant qui imprègne le lecteur telle une glue tenace dont il aura bien du mal à se dépêtrer. Un roman qui permet de retrouver un auteur épris de merveilleux fantastique qui avait déjà eu l'occasion de nous surprendre avec le saisissant Pays du fou ire dont la thématique abordait entre autre l'épineuse place du père, alors que c'est celle de la mère, de l'enfantement et de l'avortement qui s'infiltre dans la trame de ce remarquable Os de lune préface en terme plus qu'élogieux par le talentueux Nail Gaiman.
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samedi 11 mai 2019


La bibliothèque de Mount Char
(Roman) Fantasy
AUTEUR : Scott HAWKINS (Usa)
EDITEUR : GALLIMARD-Folio SF 633, 2/2019 — 576 p., 9 €
TO : The library at Mount Char, 2015
TRADUCTION : Jean-Daniel Brèque
COUVERTURE : Aurélien Police
Précédente publication : Denoël-Lunes d'Encre, 7/2017 — 480 p., 22.90 € — Couverture de Aurélien Police
→ Mount Char, voici un lieu destiné à rester dans les mémoires comme celui de l'hôtel de Shinning ou l'école de Poudlard, un endroit situé en même temps au sein de notre univers et au dehors, une vénérable bâtisse dont les occupants assurent la préservation coûte que coûte. Celui imaginé par Scott Hawkins est une bibliothèque ancrée dans le quartier de Garrison Oaks et elle abrite 12 orphelins devenus des Pelapi, entendez des bibliothécaires largement différents des stéréotypes habituels attribués à la profession Des gamins qui auraient pu être comme les autres s'il n'y avait pas eu Père, cette émule de Mathusalem qui veille jalousement sur eux depuis qu'ils les a pris sous sa coupe. Son but : les instruire en inculquant à chacun le contenu des 12 Catalogues du Savoir que renferme la bibliothèque. Pour David c'est l'art de la guerre, pour Michael le langage des animaux, pour Alicia la prédiction de l'avenir, pour Jennifer les connaissances médicales et la guérison des corps, pour Margaret la fréquention des Morts, pour Carolyn l'apprentissage des langues, etc.... Afin qu'ils excellent dans leur apprentissage Père ne lésine devant aucun sacrifice. Maîtrisant toute les subtilités de l'art médical, y compris la résurrection des morts, il n'hésite pas à leurs infliger les pires châtiments et les pires souffrances comme les faire griller vivant dans une immense taureau métallique. Et tout cela pour leur bien afin que chacun d'eux deviennent tout puissant dans leurs domaines respectifs et soit prêt à affronter les périls qui les guettent comme le Dieu de la Forêt ou le mystérieux Duc. Or voilà qu'un jour Père disparait. De quoi semer l'émoi dans la petite troupe de demi-dieu, même chez le farouche David qui, tout au long de leur éducation semble avoir pris un malin plaisir à aire souffrir ses petits camarades sur lesquels ils impriment désormais son implacable loi du plus fort. Carolyn, la spécialiste linguistique hors normes a eu particulièrement à pâtir des agissements de David, toutefois, celle que l'on découvre comme l'héroïne principale de cette histoire en tout début du livre, semble avoir pris à cœur la disparition inexpliquée de leur mentor. Revenu à Mount Char après avoir tuée le détective Milner, elle participe activement aux recherches de Père avec David et ses frères et sœurs. L'aide de Nobununga, le tigre millénaire aux pouvoirs fascinants, n'ayant pas été suffisante, elle décide alors de se mettre sur les traces d'un talisman primordial le reissak ayrial. Pour cela elle recrute Steve, plombier de son état, mais aussi cambrioleur à la retraite et fier adepte du Bouddha pour les cons. Un Steve vite piégé dans une machination infernale qui l'amènera à affronter des hordes de chiens enragés et à se lier d'amitié avec une lionne venue à son secours. Mais on n'est pas à un paradoxe prêt dans ce récit où le président des Etats-Unis semble être devenu une simple marionnette dont Carolyn tire les fils à l'envie. Dés lors toutes les tentatives destinées à  mette fins aux agissements des enfants de Mount Char, même celles de commandos délites appuyés par des hélicoptères de combats, seront vouées à l'échec. Seul le perspicace Ewin, un héros de guerre qui a du mal à se réinsérer dans la vie civile, parviendra à tirer son épingle du jeu dans cet affrontement disproportionné qui oppose notre pauvre humanité à des sortes de… dieux. Car, inutile de se voiler la face, il ya a quelque chose du divin dans le personnage de Père, ce façonneur de monde sur qui semble reposer tout le destin de l'univers. Jouant habilement du mélange des genres (Fantasy, Légendaire, roman noir, horreur, voire gore) l'auteur, grâce à l'originalité de ces personnages, comme David le roi du meurtre affublé d'un tutu de danseuse,  et la succession de scènes percutantes conjuguant sexe, hémoglobine et délicat parfum d'absurde, sait prendre en laisse son lecteur et l'amener à tourner avidement les pages de son livre pour connaitre le dénouement d'une intrigue qui devance rapidement tout ce qu'on imaginaire peut concevoir. Un grand moment de lecture récompensé par le prix Elbakin 2018 du meilleur roman de Fantasy traduit.
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vendredi 10 mai 2019


Rêves de machines
(Roman) Intelligence artificielle
AUTEUR : Louisa HALL (Usa)
EDITEUR : GALLIMARD-Folio SF 624, 1/2019 — 418 p., 8.40 €
TO : Speak, Harper Collins, 7/2015
TRADUCTION : Hélène Papot
COUVERTURE : Anne-Gaëlle Amiot
Précédente publication : Gallimard-Du Monde Entier, 2/2017 — 384 p., 22 €
→ Publier un roman de SF grand format hors des collections spécialisées n'est pas un gage de succès, car il a du mal à toucher le public visé. La réédition en Folio de ce premier roman traduit en français de l'américaine Louisa Hall mettra, je l'espère, plus en lumière ce récit qui le mérite. Principalement axé sur l'ambivalence des sentiments que notre société éprouve envers l'intelligence artificielle (fascination/appréhension) le livre aborde ici cette thématique sous un angle nouveau, celui de la nostalgie (comme ce fut le cas dans le film de Christopher Columbus, L'homme bicentenaire, tiré d'une nouvelle de Isaac Asimov) et plus du tout à travers l'approche hostile que proposait Hall, l'IA intrusive de 2001 l'odyssée de l'espace de Stanley Kubrick tiré du roman de Arthur C. Clarke. Louisa Hall nous propose un récit épistolaire qui alterne cinq trames narratives évoluant au fil d'un récit flash back qui nous promène dans des époques différentes avec un même leitmotiv, celui de l'intelligence artificielle. On y rencontre des êtres à part, des êtres d'exception rongés par leur poignante solitude qui cherchent à travers leurs confessions (lettre, journal, mémoire) à faire perdurer la trace d'un passé faisant office de l'esquif auquel se raccroche désespérément un naufragé. Nous voilà donc successivement propulsé en 1663 pour suivre le journal intime de Mary Bradford, jeune immigrée britannique mariée de force à 13 ans à un certain Whittier, et qui n'a pour planche de salut que l'écriture et son petit chien Ralph. Mary qui en 1968 donnera son nom à un logiciel capable de discuter avec l'homme conçu parle  Karl Dettman en utilisant le journal de Mary édité par sa femme Ruth pour qui son intransigeance à  le doter d'une mémoire portera ombrage à leur couple. Un Dettman largement inspiré par les travaux du génial Alan Turing dont nous est retracé en 1928 la correspondance qu'il a entretenue avec la mère de son meilleur ami, Christopher Morcom, à l'origine de sa passion pour l'informatique, et à qui il parle de son projet de conception d'un cerveau artificiel. Mary que l'on retrouve à travers Mary3 en 2035, l'IA qui apaise la peine de Gaby, l'une des adolescentes tombée gravement malade alors qu'on lui a retiré son babybot. Des conversations qui serviront en 2040 au procès à charge de Stephen Chinn condamné à la prison à vie pour avoir créé ces robots trop proche de l'humain qui ont affecté toute une génération d'adolescents. Des approches successives qui privilégient volontairement l'humain, voire le pathos, à travers l'attachement viscéral que nous entretenons avec notre passé, vestige d'un avant que nous ne voudrions jamais voir effacé, miroir déformé de notre présent, mais aussi terreau de notre futur. Une peinture attachante d'individus mal à l'aise dans leur trajectoire de vie, souvent aux prises avec l'incompréhension de leur entourage, qui sert de canevas pour se poser des questions cruciales sur l'avenir de la cohabitation difficile entre l'homme et l'intelligence artificielle. Peut-on la promouvoir sans risquer notre propre altération ? Doit-on doter ces machines ultra perfectionnées d'émotions et de souvenirs, au point de les faire dangereusement nous ressembler ? Enfin, et surtout, seront-elles capables de nous nuire ou bien, comme le croit profondément Chinn, en acquérant toujours plus d'humanité, de nous rapprocher de la notre ? Un roman passionnant s'articulant aussi bien sur l'analyse de la suite de Fibonacci, suite de nombres ou chaque terme représente la somme du précédent, que sur une densité émotionnelle digne de meilleurs récits romantiques.
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Plop
(Roman) Dystopie
AUTEUR : Rafael PINEDO (Argentine)
EDITEUR : GALLIMARD-Folio SF 630, 3/2019 — 178 p., 6.20 €
TO : Plop, Salto de Pagina, 2007
TRADUCTION : Denis Amutio
COUVERTURE : Georges Clarenko
Précédente publication : L'Arbre Vengeur, 1/2011 — 176 p., 12 €/Couverture de Jean-Michel Perrin
→ Un univers de boue, véritable décharge à ciel ouvert, voilà ce qu'est devenu le monde d'après de Rafael Pinedo, cet auteur argentin né à Buenos Aires en 1954 et mort en 2006 dont on nous offre ici le premier roman qui a reçu le prix Casa América en 2002. Pas de pitié, de concession, ni de quelconque empathie au sein de la grappe d'humanité qui survie à la surface de cette planète en décomposition. Plop, ainsi baptisé à cause du bruit qu'il a fait en tombant dans la boue quand il est sorti du ventre de sa mère, représente le parfait symbole de cette promenade en enfer. Pris sous l'aile sans mansuétude de la vieille Goro, l'ancienne du Groupe et la gardienne de l'écriture, il grandit avec Tini et Urso, deux compagnons de décrépitude avec qui il apprend les rudiments de la loi du plus fort, règle sanguinaire qui régit le devenir de ces humains en perpétuelle fuite. Partageant son temps entre le passage aux Lieux d'Echange, les fêtes comme celle du Kariborn et les inévitables chasses où le cannibalisme est devenu monnaie courante, Plop arrive toutefois à gravir peu à peu les échelons de cette hiérarchie de circonstance où culminent les Secrétaires de Brigade et le tout puissant Commissaire Général. Dans cet univers où le sexe se borne à "l'utilisation" du partenaire d'à-côté, Plop a trouvé une aide appréciable par l'intermédiaire de la Guerrière estropiée qui a appris à son Groupe à se battre et à qui il a fourni une esclave pour satisfaire tous ses plaisirs. Une esclave dont la trajectoire sera intimement liée à la sienne comme le montrera la fin de ce roman âpre et intense déroulant chapitre après chapitre une suite de flash back qui conduisent le lecteur, sûrement éprouvé par cette lecture sans filtre, vers un dénouement final somme toute inéluctable. Etrange sensation que cette plongée dans les détritus de la condition humaine où l'on guette à chaque page, mais en vain, des signes de sentiments tels que amour, pitié, compassion, jadis attribués, mais peut-être à tors, à ce que l'on appelait la civilisation, pas loin dans la réalité et dans beaucoup d'endroits dans le monde de se laisser aller aux pires débordements dont sont capables les êtres de notre espèce.
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