mardi 24 avril 2018


Le 33ème mariage de Donia Nour
(Roman) Uchronie
AUTEUR : Hazem ILMI (Egypte)
EDITEUR : DENOËL-Denoël & d’Ailleurs, 3/2018 — 353 p., 20.90 €
TO : Die 33. Hochzeit der Donia Nour, Aufbau Verlag GmbH & Co KG, Berlin, 2016
TRADUCTION : Hélène Boisson
COUVERTURE : Raphaëlle Faguer
→ Deux protagonistes se partagent l’affiche de ce roman atypique écrit sous pseudonyme par un égyptien vivant en Allemagne et on comprend vite pourquoi en lisant ces pages véritable plaidoyer pour un Islam libre et tolérant, tout au contraire de celui qui est pratiqué sur une grande partie de la planète et notamment dans l’Egypte uchronique décrite dans ce livre. Il y a d’abord Ostaz Mokhtar, un professeur un brin philosophe qui, alors qu’il s’apprête à endosser les aléas de ses prises de paroles un peu trop antimonarchiques auprès des étudiants du Caire dans les années 50, est brusquement enlevé par les Ilmanis, des extraterrestres en mal de sociologie, dont, à ses yeux, le plus grand tord est de refuser de lui fournir du koshari, un aliment de base égyptien. Et puis il y a Donia Nour, jeune égyptienne plutôt bien de sa personne qui vit dans une Egypte de 2048 étouffée sous la botte du Nizam, organisation prônant un islamisme intégriste des plus modernisées avec sleepversiting, messages publicitaire d’endoctrinement diffusés pendant le sommeil, cabines de prières obligatoires et informatisées, cerveaux constamment sous surveillance avec bonnes actions récompensées et mauvaises, entendez contraire au Coran prôné par le Nizam, conduisant à  la terrible Quarantaine des Ames Perdues après mise hors d’état de nuire par les GM, des sortes de robots volants aux armes sophistiquées. Dans cet univers retranché de celui des Kouffars, les nations d’infidèles qui entourent l’Egypte, l’Europe apparaît pour Donia comme une sorte d’Eldorado qu’elle veut à tout prix atteindre. Mais, pour cela, il lui faut rassembler un kilo d’or, le prix de l’extraction. Afin d’y parvenir, elle décide d’exploiter l’une des failles du système. Vendue  toute jeune à un homme d’âge mûr pour un mariage d’un jour annulé le soir même après avoir été consommé et les entremetteurs grassement payés, elle décide de profiter de cette expérience traumatisante en épousant régulièrement des hommes fortunés beaucoup plus âgés qu’elle qui la répudie après quelques heures de bon temps. Pour cela il lui faut cependant à chaque fois faire reconstruire son hymen, car un bon pratiquant ne peut toucher qu’une vierge. Et, malgré le dégoût que lui inspire ces étreintes forcées, elle continue d’avancer vers son but, le franchissement de la frontière, jusqu’à sa 33ème union qui la pousse dans les bras du redoutable Zulkheir, un juge islamiste et l’un des pontes du régime en place. Quand il découvre qu’elle est impure sa vie, jusque là peu reluisante, devient un véritable enfer avec emprisonnement et exil du côté d’Assouan en tant qu’esclave sexuelle. De son côté, Ostaz est guère mieux loti, car les Ilmanis ont eu la judicieuse idée de le renvoyer dans cette Egypte de 2048 afin qu’il expose au peuple tyrannisé sa propre version du Coran, initiative qui, bien entendu, ne peut conduire qu’à la lapidation par une machine sophistiquée propulsant des pierres suffisamment grosses pour tuer, mais assez petites pour faire durer les souffrances le plus longtemps possible. Alternant les chapitres mettant en scène les points de vue de ces deux personnages emportés dans les remous de ce régime totalitaire, l’auteur, un neuroscientifique égyptien travaillant en Allemagne depuis 2014, en profite pour exprimer sous un angle douloureux, mais cependant teinté d’humour, son aversion envers des régimes totalitaires et des réglions extrémistes qui considèrent les pauvres comme des réservoirs d’organes inépuisables et qui servent à enrichir une caste minoritaire exploitant sans vergogne les richesses de leur pays tandis qu’une cruelle oppression maintient le peuple dans l’ignorance du véritable sort que leur réservent leurs dirigeants. Tirant à boulets rouges sur un Islam patriarcal, archaïque et tout sauf tolérante, l’auteur a pris le judicieux parti de  publier son roman sous un pseudonyme redoutant sûrement un syndrome Salman Rushdie ou des déboires façon Charlie Hebdo, et c’est un des malheurs de notre époque qu’il en soit réduit à utiliser ce moyen pour pouvoir dénoncer les méfaits de l’oppression des peuples et les vicissitudes de la condition humaine, qu’ils aient pour origine l’extrémisme religieux ou tout autre dictature prenant sa source dans de récurrentes vagues brunes ou dans des fanatismes rouges (Khmères et consorts) qui conduisent immanquable aux mêmes résultats déplorables pour le devenir du monde.

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