♦ Le 33ème
mariage de Donia Nour ♦
(Roman)
Uchronie
AUTEUR : Hazem ILMI (Egypte)
EDITEUR : DENOËL-Denoël
& d’Ailleurs, 3/2018 — 353 p., 20.90 €
TO : Die 33. Hochzeit der Donia Nour, Aufbau
Verlag GmbH & Co KG, Berlin, 2016
TRADUCTION : Hélène Boisson
COUVERTURE : Raphaëlle
Faguer
→ Deux protagonistes se partagent l’affiche
de ce roman atypique écrit sous pseudonyme par un égyptien vivant en Allemagne et
on comprend vite pourquoi en lisant ces pages véritable plaidoyer pour un Islam
libre et tolérant, tout au contraire de celui qui est pratiqué sur une grande
partie de la planète et notamment dans l’Egypte uchronique décrite dans ce livre.
Il y a d’abord Ostaz Mokhtar, un professeur un brin philosophe qui, alors qu’il
s’apprête à endosser les aléas de ses prises de paroles un peu trop antimonarchiques
auprès des étudiants du Caire dans les années 50, est brusquement enlevé par
les Ilmanis, des extraterrestres en mal de sociologie, dont, à ses yeux, le
plus grand tord est de refuser de lui fournir du koshari, un aliment de base
égyptien. Et puis il y a Donia Nour, jeune égyptienne plutôt bien de sa
personne qui vit dans une Egypte de 2048 étouffée sous la botte du Nizam, organisation
prônant un islamisme intégriste des plus modernisées avec sleepversiting,
messages publicitaire d’endoctrinement diffusés pendant le sommeil, cabines de
prières obligatoires et informatisées, cerveaux constamment sous surveillance
avec bonnes actions récompensées et mauvaises, entendez contraire au Coran
prôné par le Nizam, conduisant à la
terrible Quarantaine des Ames Perdues après mise hors d’état de nuire par les
GM, des sortes de robots volants aux armes sophistiquées. Dans cet univers
retranché de celui des Kouffars, les nations d’infidèles qui entourent l’Egypte,
l’Europe apparaît pour Donia comme une sorte d’Eldorado qu’elle veut à tout
prix atteindre. Mais, pour cela, il lui faut rassembler un kilo d’or, le prix
de l’extraction. Afin d’y parvenir, elle décide d’exploiter l’une des failles
du système. Vendue toute jeune à un
homme d’âge mûr pour un mariage d’un jour annulé le soir même après avoir été
consommé et les entremetteurs grassement payés, elle décide de profiter de
cette expérience traumatisante en épousant régulièrement des hommes fortunés
beaucoup plus âgés qu’elle qui la répudie après quelques heures de bon temps. Pour cela il lui faut cependant à chaque fois faire reconstruire son
hymen, car un bon pratiquant ne peut toucher qu’une vierge. Et, malgré le
dégoût que lui inspire ces étreintes forcées, elle continue d’avancer vers son
but, le franchissement de la frontière, jusqu’à sa 33ème union qui
la pousse dans les bras du redoutable Zulkheir, un juge islamiste et l’un des
pontes du régime en place. Quand il découvre qu’elle est impure sa vie, jusque
là peu reluisante, devient un véritable enfer avec emprisonnement et exil du
côté d’Assouan en tant qu’esclave sexuelle. De son côté, Ostaz est guère mieux
loti, car les Ilmanis ont eu la judicieuse idée de le renvoyer dans cette
Egypte de 2048 afin qu’il expose au peuple tyrannisé sa propre version du
Coran, initiative qui, bien entendu, ne peut conduire qu’à la lapidation par
une machine sophistiquée propulsant des pierres suffisamment grosses pour tuer,
mais assez petites pour faire durer les souffrances le plus longtemps possible.
Alternant les chapitres mettant en scène les points de vue de ces deux
personnages emportés dans les remous de ce régime totalitaire, l’auteur, un
neuroscientifique égyptien travaillant en Allemagne depuis 2014, en profite
pour exprimer sous un angle douloureux, mais cependant teinté d’humour, son aversion envers des
régimes totalitaires et des réglions extrémistes qui considèrent les pauvres
comme des réservoirs d’organes inépuisables et qui servent à enrichir une caste
minoritaire exploitant sans vergogne les richesses de leur pays tandis qu’une
cruelle oppression maintient le peuple dans l’ignorance du véritable sort que
leur réservent leurs dirigeants. Tirant à boulets rouges sur un Islam
patriarcal, archaïque et tout sauf tolérante, l’auteur a pris le judicieux
parti de publier son roman sous un pseudonyme redoutant sûrement un syndrome Salman
Rushdie ou des déboires façon Charlie Hebdo, et c’est un des malheurs de notre
époque qu’il en soit réduit à utiliser ce moyen pour pouvoir dénoncer les
méfaits de l’oppression des peuples et les vicissitudes de la condition humaine, qu’ils
aient pour origine l’extrémisme religieux ou tout autre dictature prenant sa
source dans de récurrentes vagues brunes ou dans des fanatismes rouges (Khmères
et consorts) qui conduisent immanquable aux mêmes résultats déplorables pour le
devenir du monde.
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