♦ Conséquences
d'une disparition ♦
(Roman) Science-Fiction
AUTEUR : Christopher PRIEST (Grande Bretagne)
EDITEUR : DENOËL-Lunes
d'Encre, 8/2018 — 335 p., 21.50 €
TO: An american story,
Gollancz, 2018
TRADUCTION : Jacques Collin
COUVERTURE : Aurélien Police
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Les lecteurs de SF français connaissent bien Christopher Priest. Ils l'on vu
débouler au catalogue de la collection Dimensions SF des éditions Calmann-Lévy,
qui avait l'ambition de faire découvrir aux mangeurs de grenouilles un autre
volet de la science-fiction s'apparentant souvent à ceux que les anglo-saxons
appelèrent la New wave. C'est ainsi qu'aux côtés de Priest (Le monde inverti, Futur intérieur, La
fontaine pétrifiante) on découvrait des auteurs phares de cette nouvelle SF
britannique comme Ian Watson, J.G. Ballard, Brian Aldiss accompagnés par des
célébrités venues d'Amériques tels que Philip K. Dick, Frederik Pohl, Robert
Sheckley, etc… Cette fois, l'auteur de Prestige,
adapté à l'écran par Christopher Nolan, nous invite sous l'emballage d'une
touchante histoire d'amour à une réflexion sur la vérité, telle que nous la
matraque les sommaires de journaux télévisés. Ne tombant pas dans l'écueil du
récit complotiste, Christopher Priest nous propose de partager les
interrogations de Ben Matson, anglais et pigiste régulier, dont l'existence n'a
plus le même goût qu'avant depuis qu'il a perdu Lilian Viklund, une jeune femme
avec qui il avait noué une liaison passionnée jusqu'à sa brutale disparition
lors des attentats du 11 septembre en tant que passagère de l'avion qui s'était
écrasé sur le Pentagone. Vingt ans après, Ben n'a toujours pas fait son deuil
et le souvenir de la belle Lilian remonte cruellement à sa mémoire avec le décès
du scientifique Kyril Tatarov, qu'il a naguère interviewé et dont la brève et
énigmatique disparition de 2006 avait questionné pas mal de services secrets de
par le monde. Une mort qui s'accompagne de la découverte de l'épave d'un
avion à une centaine de miles des côtes
américaines. L'implication de la CIA pour prendre en main les recherches autour
de cet objet ressurgi des profondeurs marines ainsi que les propos de Tatarov
qui mettait en doute la théorie officielle concernant les événements terroristes
de 2001 entraîne Ben et le lecteur qui l'accompagne dans des allers-retours
entre le présent et le passé à la recherche d'une vérité qui ne serait pas
celle pour laquelle ont nous aurait formatés. Sans envolée dans le vide
interstellaire, ni menace d'intelligence artificielle ou d'ET aux contours et
motivations indéfinissables, Christopher Priest démontre que l'on peut
construire un roman de science-fiction en s'appuyant matière vivante de la
réalité, à condition de disposer d'un talent d'écrivain suffisant pour tisser
une intrigue convaincante sur des faits qui nous ont tous, un jour ou l'autre,
poussé à la réflexion. Précisant lui-même qu'il ne partage pas forcément les
idées de son héros Ben, pas vraiment un journaliste d'investigation, mais un
homme brisé rongé par le besoin d'en découvrir plus sur la disparition de
l'être aimé. Ce faisant, il pointe le doigt sur la désagréable sensation que
dans le monde où nous évoluons aujourd'hui, ce qu'il appelle les
"dissonances cognitives", c'est-à-dire la sensation diffuse que
quelque chose ne tourne pas rond dans la soupe que nous servent réseaux sociaux
et antennes relais, nous pourrissent parfois la vie avant que nous rattrape le
besoin de se raccrocher aux versions officielles nous confortant dans des certitudes
ébranlées par notre propre subconscient. Et rien que pour cela il faut lire ce
livre qui peut s'apparente au clignotement d'un phare venu nous rappeler que la
manipulation fait partie de ce monde et que ceux qui la dénonce sont vite
cloués au pilorie, même s'ils le font d'une toute petite voix. Un roman qui n'a
pas été publié par les éditeurs américains, peut-être encore trop à fleur de
peau avec tout ce qui touche à la destruction des tours jumelles…
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