(Roman) Space Opera
AUTEUR : Romain LUCAZEAU (France)
EDITEUR : Gallimard-Folio
SF 613, 9/2018 — 560 p., 8.90 €
COUVERTURE : Manchu
Précédente publication : Denoël-Lunes
d’Encre, 11/2016 sous le titre Latium –
Tome 1 — 506 p., 22.50 € — Couverture de Manchu
→ Pour son premier roman
de science-fiction publié (il avait déjà œuvré du côté des nouvelles dans des
revues telles que le québécois Brins d’Eternité ou le Présence d’Esprits
parrainé par Denoël) le moins que l’on puisse dire est que le livre de Romain
Lucazeau n’est pas passé inaperçu. Les critiques ont fleuri sur le net comme
nos campagnes au printemps et, à part quelques sons de cloches défavorables, la
plupart n’ont pas tari d’éloges sur cet énorme pavé publié pour la première fois en 2 tomes dans la
fameuse collection lunes d'Encre à cette époque présidée par Gilles Dumay dont on ne louera jamais assez l’intensité
du travail rédactionnel et l’aptitude à braquer la lumière des projecteurs sur
de nouvelles plumes autant que sur des valeurs sures des domaines de la SF, et rééditié aujourd'hui en Folio. Si
l’inspiration tirée des maîtres tels que Ian M. Banks ou Dan Simmons se révèle
indéniable, se serait faire injure à l’auteur que d’affirmer qu’il s’est
contenté de copier avec brio leur œuvre. Non, l’écriture de Romain Lucazeau,
qui enseigna un temps la philosophie politique à l’université, coule comme un
fleuve tranquille sur lequel on se laisse aisément entraîner. Chaque phrase
parfaitement ciselée nous oblige à brancher notre esprit sur l’avalanche
d’images quelles nous suggèrent, à peine tempérée par des termes sortant du
vocabulaire lexical usuel dont l’explication nous est chaque fois fournie en
bas de page, l’espace d’un simple coup d’œil qui ne retard pas vraiment la
lecture. Mais passons à l’intrigue. De son propre aveu (interview sur le site
actusf) l’auteur affirme avoir tout d’abord voulu écrire l’histoire « de princes et de princesses à la mode
antique, très beaux, très froids, et calculateurs, se livrant à des intrigues
et des combats, dans l’espace, avec des palais à colonnes et des cultes
païens ». Une sorte de mélange entre space-opera et Antiquité, tel
qu’on l’a découvert de livres comme les Illium
et Olympos de Dan Simmons ou l’on
retrouve une histoire détournée de la fabuleuse civilisation gréco-romaine, ou
dans le Roma AEterna de Robert Silberberg
et Le soldat de brumes de Gene Wolfe.
Ici ce sont cependant de fascinantes Intelligences Artificielles qui tiennent
le haut du pavé. Des automates orphelins de leurs créateurs, l’espèce humaine
qui, après avoir commencé à essaimer dans le cosmos, a soudain été anéantie par
l’Hécatombe, une mystérieuse épidémie qui l’a rayé de la carte de l’univers. Un
moment perdu devant l’absence de leurs créateurs, les IA, ces serviteurs
métalliques intelligents, ont fini par peupler l’espace anciennement colonisée
par l’homme en créant la civilisation de l’Urbs, sorte de gigantesque satellite
artificiel en forme de tambour, régi par les règles de la civilisation
greco-romaine qui prédominait à la disparition de leurs maîtres. Régnant
désormais sur le Latium, l’espace épanthropique où les humains avaient jadis
vécu, les IA sont cependant confrontés dans les Limes, cette sorte de no-man’s-land
volontairement créé à la frontière de leur gigantesque territoire, à la menace
des barbares, des extraterrestres qui cherchent à envahir les territoires
colonisées par les IA. Bloqués par le Carcan, émanation des lois de la
robotique d’Asimov qui leur interdit de porter atteinte à un être vivant, ces
dernières ont du innover. Ainsi certaines d’entre elles, animés par leur esprit
rebelles, se sont incarnées dans les Nefs, d’immenses navires interstellaires
entièrement automatisés. Telle a été le cas de Plautine, l’intelligence qui n’a
pas perdu espoir de retrouver un jour un humain survivant et qui erre, dans un
demi-sommeil, aux limités des Limes, ainsi qu’d’Othon, un guerrier par excellence
qui a terraformé la planète Ksi Bootis afin d’y élever une race d’homme-chiens
vivant sur le modèle de l’Antiquité grecque, qui l’adorent en tant que Dieu et
qui combattront les barbares à sa place. Tout commence, dans ce livre par un
mystérieux signal capté par la nef de Plautine. S’accrochant au moindre espoir d’une
survie humaine, cette dernière décide de remonter à sa source et, pour cela, elle demande l’aide son ancien allié, Othon,
l’autre rebelle d’Urbs. Et nous voilà embarqués dans plus de 500 pages d’une aventure
qui se déploie telle une gigantesque fresque focalisant tour à tour notre
attention sur une civilisation de l’Urbs, dont les sénateurs, encore marqués par
la perte du Dieu qu’a été l’homme, tergiversent pour prendre les décisions, ou
sur des hommes-chiens qui s’extirpent peu à peu de leur domination mystique pour
s’interroger sur les faiblesses d’Othon leur créateur, le tout sur fond de
gigantesque affrontement sidéral qui conduira à la transformation de l’autre protagoniste
du récit, Pauline, la fascinante IA en mal d’humain. Marqué du sceau de la
tragédie, et de celle de Corneille en particulier, plongé dans les méandres d’une philosophie tirée
de la Monadologie de Leibtnitz, empruntant les sentiers de Frankenstein ou de
l’île du docteur Moreau dans la recréation du vivant sous l’égide d’Othon, ce
roman nous immerge dans le chaudron des interrogations métaphysiques posées aux
IA, uniques protagonistes de ce récit évoluant dans l’ombre de la religion
pythagorienne et néoplatonicienne, centrée sur le soleil, les nombres et les
concepts, et formant une image d’un
futur basé sur l’évolution d’une
civilisation romaine dont l’influence ne se serait jamais éteinte. Assurément
un grand livre, dont le second dytique devrait tenir les promesses affichées
dans ce premier opus.
Autre couverture :
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